A l’origine, transports exceptionnels

☰ A l’origine, film de Xavier Giannoli, sorti en salle en 2009, est une expérience de spectatrice à part entière. Le fait divers, l’escroquerie, l’histoire vraie…Une ode à la terre et à la résilience des hommes.

 

Tout ce que je voudrais, c’est finir mon travail

▵A l’instar de cette terre transfigurée en route, de ce passage d’un état de la matière à un autre, d’une surface vierge à une imposition civilisatrice, c’est la vie d’un homme, sorti de prison, qui nous est livrée.

▵Un miroir déformant, entre, d’une part, une existence qui a basculé et d’autre part, la symbolique d’une voie qui se verra, bientôt, enduite d’une couche mortifère d’asphalte.

▵Sur la terre des hommes, tuer un sol s’accompagne de rituel et peut être salvateur. Une route comme le départ de tout, un itinéraire, une direction, un grand nulle part.

▵Les cartes ne cesseront de se lire, de se regarder, de comporter des indications, prédictives, marches à suivre, scenarii…

 

 

▷C’est par la mortification de ce sol que se déclenche la liesse, le travail des hommes. L’arnaque de Paul /Philippe Miller (François Cluzet)fonctionne comme une étincelle, même si nous n’en connaissons pas, à l’avance, l’ampleur.

▾C’est le déroulé narratif qui fera office de déploiement du plan, ni tout à fait dans le flou mais tenu en suspens.

◌Cette carte, sans cesse, lue, cette date du 28 novembre, ces indications que nous ne comprenons pas. Nous sommes face à cet homme énigme sans pouvoir être en mesure de l’identifier avec clarté.

▾Où se trouve son humanité, n’est-elle pas touchée par les joies, peines et émotions de ces êtres qu’elle rencontre ?

▾Est-il endormi, avalé par une stratégie qui peine à être perceptible ?

 

Ton chantier, c’est du vent, c’est du bruit

► Western moderne, films politique ou quête initiatique, A l’origine serait la métaphore d’une bataille.

◐Puis au contact de ces peaux, de ces générosités, vient le réveil. L’histoire d’une métamorphose.

 

 

 

Je ne pensais pas cela possible

 

▁Avec ce scarabée, j’ai vu Kafka et sa longue nouvelle qui décrit la métamorphose et les mésaventures de Gregor Samsa, un représentant de commerce qui se réveille, un matin, transformé en un « monstrueux insecte ».

  • À partir de cette situation absurde, l’auteur présente une critique sociale, aux multiples lectures possibles, en mêlant thématiques économiques et sociétales et questionnements sur l’individu, le déclassement, la dépendance, la solidarité familiale, la solitude et la mort.

▾La terre, inhumation, ensevelir, enfouir pour faire tenir le mensonge ?  

▴Des vies se frottent, se bousculent, des figures paternelles, maternelles, des couples déformés et des îlots de détresse se croisent.

◂De celle des hommes, qui se plie à leurs volontés les plus folles, à leurs mensonges éhontés mais qui peut produire l’impensable, le renouveau, la renaissance. A l’origine serait un film sur le cycle de la vie.

⊙ Fable héroïque, un combat titanesque se joue entre l’homme machine et cette terre lunaire, en attente, rythmée par cette horloge temporelle de la date butoir.

 

▔Un conte moderne et existentiel sur la question du chemin, du tracé de la vie. Une immersion dans l’artifice qui engendre, pourtant, la franchise, le mensonge comme bain révélateur, le cadeau qu’on n’espérait plus.

 

Vous êtes attendu comme le messie

 

░ Construction de l’Autoroute A61 bis, 1ère tranche, Maîtrise d’ouvrage et financeur: GMTR, filiale du groupe CGI.

▚ Le sol de cette route, trésor vivant insoupçonné, le phénomène naturel de la pluie et son rôle prépondérant dans le cycle de l’eau, l’homme, au centre, soumis à ces impératifs et aléas, l’essence comme un essentiel à toutes activités de chantier, la protection d’une espèce rare de scarabée… La question environnementale est clairement posée.

◍La place de l’argent, déifié, volé, faussé, dévoyé, gardé secret, puis offert comme la restitution d’un trésor. La monnaie n’est plus moyen mais acte qui vient défaire la spoliation.    

 

▝ Le ballet des machines, génie civil, celui mécaniques des roues en apesanteur sur la terre, le jour comme la nuit. Une révolte plus loin, l’eau du sol, du ciel comme empêchement naturel à ces excavations.

▵Ce sol que l’on condamne, que l’on abîme et que l’on tue avec de la chaux vive est magnifié par des plans d’une très grande noblesse.

▭Grand, ce paysage si funeste n’en est pas moins grand. Volcan, préciosité et ampleur, la photographie de Glynn Speeckaert est superbe, toute en puissance et justesse.

⊙La poussière, la fumée serait tout ce qu’il reste. En écho à cette misère humaine, à ces hommes précarisés, blessés, les cendres, telles des reliques, nous plongent dans cette imaginaire de la ruine

 

 

◒La Terre, notre planète est notre passage d’hommes. La vie et toutes celles que l’on modifie parce qu’on s’y heurte.

▴L’eau et la terre qui donnent naissance à la boue, prémisse d’une situation qui s’enlise, d’un enfer qui s’installe. A l’instar de la vase qui remonte, les turpitudes reprennent leur droit.

 

Je ne vais pas tout abandonner maintenant, c’est trop tard

❏La traversée de Philippe, sous cette pluie de détresse, seul, en nécessité absolue de l’intervention de ses hommes, se fait épique. Depuis ce sol impraticable, aux allures de tranchée, il poursuit, obstinément, le combat.  

▾Un film qui demande notre attention et invite à nous responsabiliser.

☰Cette France des parkings, des centres commerciaux, des cafétérias, des usines rassemble attentes, espoirs, sacrifices et désillusions, là où il faudrait tenter le tout pour le tout comme s’il s’agissait d’un enjeu beaucoup plus grand: faire quelque chose d’extraordinaire.

 

On y arrivera

⊿L’impossible retour, l’empêchement du terme, le franchissement du échoir à échu, vient rythmer les derniers instants du film. Le meurtre inconcevable, l’intenable confession, transition, le réalisable peut avoir lieu.

⊿Il est question de fiabilité et d’abandon voire d’impunité. Le travail est si intimement lié au vol, figure totémique envisageable, que le fait de travailler peut se comprendre par « se faire avoir ».

 

Il n’y a pas de chantier dans la région, les travaux n’existent pas

▣Comment se caractérise le réel, le fait d’exister ? 

►La réponse à cette discussion se fait par l’interpellation de Nicolas: « On doit finir cette nuit, qui veut finir ?  » La démonstration physique portée par l’adhésion solidaire du groupe se suffira à elle-même pour signifier l’indiscutable et clore le sujet.

 

◖Finir, achever, clôturer, enceindre.

 

A l’origine, il y a eu un problème avec un scarabée

▔Le rappel, sans hasard ni coïncidence, de la pluie et de l’arrêt voire du danger qu’elle représente, ne stoppera pas l’obstination des hommes. La chance et le secours feront face au feu, laissant quelques brûlures superficielles.

Monsieur, Ordure, Escroc, Philippe retourne sur le chantier, allume toutes les lumières de cette route qui prend des allures de piste d’atterrissage. Il s’élance, à contre courant, dans une course, armé d’un drapeau blanc…

 

 

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◣La justesse d’interprétation est omniprésente, mention spéciale à Vincent Rottiers qui interprète le personnage de Nicolas.

▾Je ne sais pas si c’est la présence d’Emmanuelle Devos, ou si c’est la musique de Cliff Martinez qui m’a conviée à revoir Sur mes lèvres de Jacques Audiard (musique Alexandre Desplat) mais certaines images sensations, un suspens amoureux, la solitude, la fragilité, l’idée de transcendance…  

◢En outre, la chorégraphie de la Compagnie Beau Geste, Transports Exceptionnels, trouve toute sa place dans ce film poétique. Crée en 2005, ce spectacle emblématique a été présenté plus de 850 fois en France et à l’étranger. Il a tourné dans près de cinquante pays.

 

▟ Le film, en compétition pour la Palme d’Or à Cannes de 2009, a été nommé 10 fois au Césars 2010 dans les catégories meilleur film, meilleur réalisateur, scénario, acteur/ Cluzet, espoir féminin/Soko- musique, photographie, montage, son et décors. Il a reçu

  • Le César de la meilleure actrice dans un second rôle pour Emmanuelle Devos.
  • Prix Lumières 2010 : Prix CST (Commission Supérieur Technique de l’image et du son) de la meilleure photographie pour Glynn Speeckaert.

▷Je vous invite à regarder en extrait Transports Exceptionnels, duo pour un danseur et une pelleteuse, dans un autre décor. Cie Beau Geste – TE

Isabelle Pompe L, Déplacée dans une forêt, 3 mars 2021.