Karen Dalton, en blues majeur

▲S’il était une artiste majeure méconnue du grand public, Karen Dalton serait, sans conteste, celle-ci. 

◍ Elle en fut assurément l’une des plus originales, dans la double acception du terme : authentique et singulière. Guitariste, banjoïste, Karen ne chantait, dans la grande tradition folk, que les chansons des autres, pour mieux les faire siennes.

▴ L’art de Karen Dalton était sauvage, et ne s’accommodait guère du rythme trépidant des grandes villes ni des artifices de l’industrie musicale.

⊿Aussi, Karen ne rencontra jamais le succès public, mais fut toujours admirée de ses pairs, tels Bob Dylan, Fred Neil ou Tim Hardin.  Source Karen Dalton, Le souvenir des montages, Pierre Lemarchand, 2016.Camion Blanc éditions

 

Un mystère au sang mêlé

◅Karen Dalton est née en 1937, elle décédera d’un cancer, après huit années de lutte, en 1993 à 55 ans.

Dalton est une chanteuse folk, blues, musicienne (guitariste Gibson 12 cordes et Banjo) américaine aux origines irlandaises et cherokee.

Une certaine précocité

  1. Elle épouse, très jeune, le guitariste Richard Tucker dont elle a un fils dont elle perd la garde et une fille, Abralyn Baird, née alors qu’elle n’a que 17 ans en 1954.
  2. En 1956, à 19 ans, elle se sauve à New York avec sa fille.
  3. En 1958, à 21 ans, elle a déjà été mariée et divorcée deux fois.
  4. Au début des années 1960, elle évolue sur la scène du Greenwich Village, en particulier avec Fred Neil, Tim Hardin, les Holy Modal Rounders et Bob Dylan qui l’incite à faire un disque. 

Karen Dalton, out of America – Télérama François Gorin

 

Bob Dylan dira d’elle:

 

Karen a été ma chanteuse préférée aussi bien qu’une forte influence sur ma propre façon de chanter depuis le début des années 1960. Je l’ai repérée pour la première fois dans le Village au Cock & Bull (rebaptisée plus tard le Bitter End).

Sa voix me saisit immédiatement. Elle interpréta Blues on the Ceiling (qui est ma chanson) avec tellement d’inspiration que si elle m’avait dit qu’elle l’avait écrite elle-même, je l’aurais crue. Après le set, Dino Valenti m’a emmené chez Karen. Plus tard dans la nuit, nous avons jammé. (…)

Sa voix était si unique. Pour la décrire, il faudrait être un poète. Tout ce que je peux dire, c’est qu’ elle se démerde sacrément bien pour chanter du blues..

 

➸L’écrivain et journaliste Pierre Lemarchand, auteur de Karen Dalton, Le Souvenir des montagnes paru en 2016, a également signé un merveilleux livre sur “Fantaisie militaire” d’Alain Bashung. Avec son dernier livre sorti en octobre dernier, il  nous raconte la genèse de “Nico The End”.

 

Karen Dalton, Le souvenir des montages, Pierre Lemarchand, 2016.Camion Blanc éditions

 

◐ Karen Dalton est sauvage, se laisse difficilement dompter, de plus, les studios d’enregistrement l’effraient car elle est claustrophobe et angoissée. Seuls deux albums sortiront de son vivant.

  • En 1969, son premier album, produit par Nick Venet, It’s So Hard To Tell Who’s Going To Love You The Best, réédité par Koch Records sur CD en 1996 et en novembre 2006 par le label français Megaphone-Music avec un DVD bonus contenant des images rares de ses performances scéniques. 
  • Son second album, In My Own Time, est enregistré en 1971 à Bearsville et produit par Harvey Brooks, également à la basse sur le disque, et Richard Bell au piano. Cet album est réédité en chez Light In The Attic Records.

▾Une discographie parallèle, faite de bandes live ou maison, plus intimes, a depuis complété l’image sonore imparfaite que donnaient le spartiate It’s hard to tell who’s going to love you the best (1969) et le trop riche In my own time (1971)

Influences: Outre Dylan, elle est une des influences de Devendra Banhart, Nick Cave, Cocorosie ou Johanna Newsom, et figure dans le livre Rock, Pop : un itinéraire bis en 140 albums essentiels du rock-critique Philippe Robert sorti en 2006, éditeur Le Mot et le Reste.

Karen Dalton, La référence absolue des chanteuses de folk et de blues

Une voix unique

▚ « Elle reste une des excep­tions fémi­nines au milieu des chan­teurs mâles de la folk de l’époque : Fred Neil, Dave Van Ronk, Tom Pax­ton, Pete See­ger, Phil Ochs et Dylan bien sûr. Sur­nom­mée plus ou moins heu­reu­se­ment « la Billie Holi­day du folk », comme cette der­nière, Karen Dal­ton a glissé dans l’enfer des stu­pé­fiants et des excès aux­quels elle sacri­fia en bour­reau d’elle-même. En deux décen­nies, elle aura traîné sa vie sans pou­voir la relever. »

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Le 27 mars 2020 sortait un splendide coffret de 4 vinyles The-Karen-Dalton-Archives-Box

Un bel article portrait lui a été consacré dans le Rock & Folk n°636 d’aout 2020 signé par Nicolas Ungemuth .Playlist du numéro

Une musicienne à quatre dimensions

◍Le film documentaire d’Emmanuelle Antille, A Bright Light, Karen and the process, sort en 2018.

◙La réalisatrice, Emmanuelle Antille, née en 1972 à Lausanne, a étudié à l’ESAV à Genève et à la Rijksakademie à Amsterdam. Elle signe avec A Bright Light, Karen and the Process son 4 ème long métrage et son 1er film documentaire.

Karen Dalton, A Bright Light – Interview Emmanuelle Antille

⊿Le film a été présenté, en première mondiale, au festival Visions du réel en 2018.

▔ »Entre journal intime et biopic, l’artiste Emmanuelle Antille entreprend un long voyage, à travers les États-Unis, sur les traces de cette star maudite, pour mieux questionner son propre processus créatif.

Où se situe la frontière qui sépare la création de la vie intime ?

▵Pour la réalisatrice qui explore la limite entre le réel et l’onirique, Dalton prend ici les contours d’une apparition fantomatique.

A Bright Light – Karen and the Process est peut-être plus une histoire de doubles qu’un film sur la vie d’une autre.

▵Ici, le cinéma devient un dialogue possible avec soi-même. Une faible lumière. Un éclat. »

Visions du reel a-bright-light-karen-and-the-process

Isabelle Pompe L, en Matrimoine majeur, 4 mars 2021.