Théâtre, Outrage au public, Handke

Cette page est à associer à la notion, issue de la sociologie de la culture, « d’expérience du spectateur ». Cette critique d’une œuvre de spectacle vivant est, ici, reprise, car la dimension temporelle entre l’expérience de cette rencontre et sa traduction verbale m’a semblée intéressante. Il s’est passé cinq ans entre cet instant et cette prise de parole. Le point de vue étant de questionner le souvenir comme « restituteur » et estimer la trace laissée par un « face à face ». J’ai donc « fait confiance » à mes ressentis et images pour laisser mon passé de spectatrice s’exprimer: le souvenir est devenu le narrateur.

La réception du titre

Le rapport entretenu avec le titre d’une œuvre est, en soi, intime. Pour ma part, j’ai rapidement rapproché le titre, « Outrage au public », à un slogan. La raison? Cette première œuvre de Peter Handke a été écrite en 1966. Entre cette période historique de création et la restitution, par la Cie De Koe, qui nous concerne, à savoir 2011, il s’est écoulé 45 années. Alors, entre un titre qui se veut manifeste ou provocation et sa réception actuelle, il peut se produire beaucoup de changements car nous avons intégré, relativisé, institutionnalisé beaucoup de « choses », de formes et de concepts…Un slogan est une formule concise qui percute et qui rassemble, il est vrai, mais ce qui m’a frappé, après avoir vécu le spectacle, c’est la véracité de cette interprétation: nous étions, là, rassemblés à recevoir cet « outrage« . Reste à savoir de quel « nous » il s’agit et qui fut donc concerné par cette réception.

A l’origine, « nous public », comme entité, étions tenu sous le coup de la même promesse. Recrutés, reconnus et ralliés par notre « cause commune », celle d’être spectateur. Car qu’est-ce qu’être public ? Quel est la place d’un spectateur? Et sommes-nous encore capables, aujourd’hui, d’être outragés? Aujourd’hui plus qu’hier ou inversement?

Nommer voire renommer

De ce fait, sachant que le titre d’une critique, d’une production se dessine à la fin, j’ai repensé le titre de cette création théâtrale au nom de mon expérience. J’ai estimé que cette représentation pouvait exprimer une forme de contre-utopie. Je suis partie du principe que son écriture était fictionnelle et que l’univers, qui nous était traduit, était, organisé autour de rapports de domination. Je sais, ces règles de domination ne sont pas régies par la science ni la technologie comme l’exigerait la définition de contre-utopie, telle qu’elle se donne à être comprise dans le « Meilleur des mondes » d’Aldous Huxley. Toutefois, j’y ai vu la présence de « marqueurs sociaux » ainsi qu’une adresse faite à la distinction. « Le public » du titre serait non pas un corpus indivisible mais bien un ensemble segmenté.En outre, j’ai reçu une opposition, celle de la haute culture vs la culture populaire. Ce qui est frappant, vous le verrez, c’est combien cette distinction faite, formulée par le texte et le jeu des acteurs sera reçue par les publics. Et combien elle nous divisera dans notre rapport au spectacle.

Cette contre-utopie tiendrait à son titre, à son slogan. Car il est à comprendre comme une proposition globale: un outrage (au singulier) fait au public (au singulier), situation impossible à concrétiser puisque nous sommes des publics, segmentés, ciblés voire stratifiés, par voie de conséquence, l‘outrage devient pluriel et le slogan unificateur devient irrecevable.

L’importance du contexte de réception

La critique commence dans le feu de l’action. Cette pièce est, en effet, vécue lors du festival d’Automne de Paris. De surcroît, l’édition 2011 s’était déroulée en pleine hystérie. D’une part, ce festival ne se déroule pas sans susciter frénésie et stress mais d’autre part, nous étions sous le coup de l’affaire Castellucci. Autant indiquer tout de suite que le contexte de réception a toute son importance car je n’avais jamais vu cela de ma vie de spectatrice, autant de violences, de perturbations et de frustrations…Bref, allons-y…

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La contre-utopie du slogan

Outrage au Public – Théâtre contemporain

 » Paris, Festival d’automne, 40ème, « sortie du bain », détrempée et vulnérable, attrapée par la virulence, ahurie par cette scène ce soir d’octobre 2011 où j’étais encerclée par l’omniprésence policière, les cars de CRS, les insultes, les panneaux et les jets de diverses substances, j’étais, ici, dissidente, confrontée à la polémique de l’œuvre théâtrale de Romeo Castellucci Sur le concept du visage du fils de dieu présentée au Théâtre de la Ville à Paris. Après avoir été fouillée et avoir assisté à une représentation sous contrôle policier, je restai en état de choc quelques jours durant.

Depuis cette soirée, j’ai commencé à comprendre cette phrase de la philosophe Marie-José Mondzain.

« L’homme ne devient homme que lorsqu’il devient spectateur »

C’est ainsi, sans parvenir à prendre la mesure de cet acte qui avait été le mien : être allée au théâtre, que j’ai découvert  » Outrage au public ».

En effet, avec ma sœur, prescriptrice de théâtre de toujours, nous avions poursuivi notre programme de représentations, ce, dans cet équilibre émotionnel précaire jusqu’à ce soir de novembre 2011.

Au Théâtre de la Bastille, la compagnie De Koe, dirigée par Peter Van Den Eede, confrère de notre compagnie admirée Tg Stan, proposait de performer « Outrage au public » de Peter Handke.

Ce texte fut écrit en 1966, une de ses premières œuvres. je connaissais l’auteur par La femme gauchère (1976) et L’angoisse du gardien de but au moment du penalty (1970) mais n’avais ni lu, ni entendu le texte de ce soir.

Le Théâtre de la Bastille est situé dans la rue populaire de la Roquette, dans le 11ème arrondissement de Paris. Alors que je résidais tout à côté du théâtre de La Colline, Bastille était devenu, au fil du temps, mon point de repère théâtral. Étrangement, je me suis très peu rendue à La Colline et ne rencontrais aucun frein dans mes déplacements pour descendre à « Bastille ».

Concrètement, ce théâtre possède deux salles aux jauges respectives de 261 et 155 places, il est dirigé, depuis 1989, par Jean-Marie Hordé. Il se définit comme « une scène d’art indépendante proposant un programme de créations théâtrales et chorégraphies contemporaines ». Noir, blanc et rouge sont ses couleurs. Il est reconnaissable à sa façade sobre aux lettres lumineuses qui rappelle son ancienne activité, un cinéma. Il crée l’intimité car on y entre très rapidement, pas de marche à gravir. Furtivement on quitte la rue, le temps d’une porte en verre. Dans cet entre-deux qui ne convoque pas, on se trouve face à ce bureau/Accueil où l’on achète, récupère ses places. A gauche, se trouve le bar appelé Foyer sur fond de rouge et gris. Sur les bords de gauche et droite sont plantés les escaliers. Ici, pas de démonstration de force, pas de hauteur sous plafond, seul l’emphase du rouge pose son halo. Je m’y sens bien, sans désir d’en découdre ou de m’en échapper.

Pour ce spectacle, j’avais pris soin de réserver en ligne nos places dès l’apparition du programme pour que, ce soir là, nous puissions entrer, sans difficulté. Du monde? Oui, il y en avait. Les publics se composaient de parisiens, franciliens et touristes francophones. Le Festival d’Automne est une manifestation culturelle internationale et pluridisciplinaire présentée dans une trentaine de théâtres parisiens et de la banlieue parisienne.

Au milieu de cette foule, nous attendions de rentrer. Des familles, des couples, des habitués et des nouveaux venus finalisaient la scène.

Peut-être que ces publics étaient au fait de ce texte, de son auteur ou avaient été attirés par le titre, sensibles au contexte de création de celui-ci ? Que pouvais-je dire de mes motivations au déplacement?  Le titre, oui c’est sûr mais aussi le lieu et la Compagnie de Koe dont j’avais déjà entendue parler. Je ne fis, néanmoins, aucune recherche supplémentaire avant cette expérience.

Réfléchissons toutefois aux motifs. Le contexte de création pourrait concerné une génération mais aussi représenté un « cru » artistique. Oui, mais de quel ordre? Un écho premier fait son apparition, je pense à Godard. En 1966, sortait Masculin féminin, puis à Rivette qui adaptait La religieuse, film qui suscita une grande polémique. Je poursuis et me tourne vers le théâtre. Genet montait sa dernière pièce Les Paravents, œuvre qui engendra violences et manifestations du fait de la force symbolique de son sujet ; la Guerre en Algérie, quatre années seulement après son indépendance. Que dit la littérature en cette période? en 1965, Pérec nous offrait Les choses.

Une fois rentrée chez moi, je suis allée voir ce que posait cet « Outrage », en 1966. Je découvre qu’il est ce texte sous influence, présenté dans le cadre d’une intervention qui fera date avec le groupe 47 à Princeton aux États Unis. Et qu’il sera perçu comme une attaque, un scandale, une révolte langagière, un refus et un rejet. Peter Handke a 24 ans, sa pièce s’inspire de l’absurde, Kafka et Beckett sont ses lectures. Je compris mieux l’odeur de soufre qui avait pu planer, 45 ans plus tard, lors de cette soirée théâtrale parisienne.

Au théâtre de la Bastille, ce soir-là, nous étions dans une confiance sereine inhérente à la présence en résidence depuis 2005 de la compagnie Tg Stan. En ce lieu, nous étions préparés à l’exigence, quasi systématique, d’une programmation. J’étais installée dans l’allée de gauche, au milieu. Le plateau de cette scène était surélevé, les comédiens étaient là, le public discutait, les gens prenaient le temps de s’installer. Les lumières ne se tamisèrent pas. Détail qui possède son importance, car tant que les lumières ne s’éteignent pas, les personnes poursuivent leurs échanges, discussions…Puis les comédiens prennent la parole. Nous nous taisons malgré l’excitation que cette lumière exerce sur nous. Comme des moucherons, nous sommes là, sur-éclairés, sur-exposés et il est difficile de concentrer son écoute. Jusqu’à la fin, nous restâmes sous cet éclairage, une contrainte épuisante et un grand inconfort étaient au rendez-vous. Timides, faites attention à vous…On vous voit.

Je fus, tout d’abord, saisie par cet élément de « détail », à la fois omniprésent et partie prenante de la scénographie. Toujours est-il que la gêne ne s’installa pas, j’étais parvenue, malgré la chaleur et l’ambiance, à intégrer ce phare. Mon attention était polarisée sur le ton et le jeu des acteurs. Ce n’était pas agressif malgré la volontaire provocation du texte.

L’humour, la sympathie qui se dégageait de cette interprétation apportait un caractère encore plus singulier à cet instant collectif. Ce refus de violence était un choix brillant de mise en scène. Des mots, des phrases qui comme des crachats accrochaient, ripaient sur nos vies, tachaient nos visages mais qui, par ce décalage d’interprétation, ne conjuraient pas notre sort individuel mais nous invitaient à la désobéissance.

Nous, publics, si régulièrement offensés, devrions répondre, nous « soulever ».

Je me vois, assise, portée par un état de surprise et médusée par la force de ce qui était prononcé. Une contre-culture s’offrait à moi, je croyais assister à un concert de rock, punk peut-être, il ne me manquait plus que quelques émeutiers pour parfaire ce sublime chahut.

Les gens tenaient la barre du calme et je me sentais invitée à ressentir une grande bouffée d’oxygène. Enfin, le théâtre montrait ses dents et cette révolte langagière était une profonde source d’un vif plaisir.

Puis, mes sensations furent quelque peu troublées. En effet, un couple de personnes âgées, placé tout devant, au pied du plateau, paraissait en difficulté. Ils semblaient tous deux en colère, mis à la porte d’un confort auquel ils étaient peut-être habitués. Je les revois, presque honteux, essayant de ne pas modifier ce désordre avec leur départ. Ils furent les premiers à oser quitter l’espace en flagrant délit car en pleine lumière. Les comédiens pointèrent leur exploit du doigt. Comme il dû être long ce couloir jusqu’à cette sortie, comme cette situation parue sans fin jusqu’à ce qu’ils disparaissent de l’œil volontiers ironique de la troupe.

Cette pièce était un tour de force avec des airs de magie. Devant nous, moi, ces jets de mots magnifiques qui me faisaient tellement de bien. Un « enfin » se répandait dans mon esprit au point de contaminer mon corps. Je me sentais bien. J’expérimentais, chose assez rare pour être soulignée, la rébellion au théâtre.

Tout à coup, un son pincé d’une voix non millimétrée s’évada d’un corps. Dans ma rangée, sur ma droite, ma voisine en quelque sorte brisa, par sa simple ouverture de bouche, cet instant bouleversant. Se pensant conviée à intervenir, elle posa une question aux comédiens. Ils lui répondirent tout en se tenant de dos.

« Nous ne parlons pas français ».

Oui, les comédiens nous parlaient mais ils ne s’adressaient pas à « nous » mais à notre « corpus », rien de personnel. Ils nous regardaient, nous montraient du doigt, nous dévisageaient sous cette lumière d’interrogatoire, oui et alors.

Cette lumière, que nous avons parfaitement perdue l’habitude d’avoir avec nous, m’a amené à chercher pourquoi cet élément du dispositif était-il si perturbant. Dans une étude sur l’opéra en Italie nommée D’une scène à l’autre vol 1. De Damien Colas et Alessandro Di Prorfio aux éditions Mardaga, j’ai pu lire ceci :

« La salle reste éclairée durant la représentation pour des raisons à la fois morale (la décence) et mondaine (le regard) ».

Je ne peux m’empêcher de penser à l’ambivalence des émotions qu’étaient les nôtres, gêne et plaisir. Nous étions tous là, témoins de la réaction des autres, dévisagés, dévorant leur départ. Nous pouvions, à loisir, observer et l’être tout autant, le spectacle étant de toute part.

Qu’en était-il de cette mondanité et de cette décence ? Il est vrai que notre absence de discrétion était immédiatement « condamnée ». Chaque départ était aussitôt salué par la troupe, un discrédit supplémentaire posé sur nos attitudes. Notre nous « social » était mis à mal pourtant cette scène de vie apportait, avec elle, quelque chose d’impeccable. Ce tableau nous conviait à l’éveil et à l’exigence.

J’observais cette classique frontalité et je pris conscience que celle-ci n’existait pas.  La raison de notre présence commune était la mise en exergue d’une prise de conscience collective.

L’outrage en question était le nôtre. Cet « entre nous », « entre soi » était pulvérisé par cette source textuelle iconoclaste.

Je connus un arrêt brutal dans ma concentration, engendré par l’intrusion de la voix du public. Je mis un certain temps à me reprendre au jeu. Cette irruption m’avait sonnée. J’étais ecclésiastique, ici, défenderesse en bec et ongle de cette représentation. Le public avait osé percer, percer le sacré et moi, qui criait presque au sacrilège lorsque la mère de ma voisine se mit à dire:

  « Moi, non plus je ne suis pas française, je viens de Toulouse ».

Ahurie par ce manque de respect, je ne pus m’empêcher de lui dire : « Ces gens-là, devant nous, ils travaillent, leur réponse était une manière de vous demander de vous taire et non de surenchérir ».

Elle me répondit sèchement : « Je ne supporte pas les parisiens ». Ce qui semblait clairement m’être destiné ne me parut pas très clair, ne voyant pas vraiment le rapport. Aujourd’hui, je saisis mieux cette distinction. Cette remarque souligne que « les parisiens » auraient des attitudes « reconnaissables » mais surtout que la provenance géographique emmène, avec elle, beaucoup de complexes et de marqueurs…

Je me mis à penser très fort à Brecht et à son Manuel pour habitants des villes aux vertus incantatoires….

« Abandonnez votre chimère, ne vous figurez pas que l’on fera pour vous une exception. Ce que vos mères vous on dit cela n’engageait personne. Laissez votre contrat dans la poche ici il cesse d’avoir cours. Laissez donc s’envoler les rêves où vous étiez choisis pour Présidents. Mais mettez-vous pour de bon à l’ouvrage il faut vous décarcasser beaucoup plus que ça pour qu’on vous tolère à l’office. Il vous reste encore à apprendre le B.A. BA Et le B.A. BA, c’est : On finira par vous avoir … ».

En pleine lumière, je me remarquai aguerrie. Assurément, dans une salle, je n’aurais pas osé rétorquer. Ce soir-là, mon enthousiasme ne se modéra pas et je restai concentrée sur ma façon de lui dire, une fois sortie, combien elle m’avait gênée, occultant peu à peu la raison première de ma présence sur ce fauteuil.

Ma venue ici tenait ainsi à cette situation nouvelle. N’étais-je pas en train de perdre ma place de spectatrice? J’imaginais Godard s’asseyant près de moi pour me dire:

« Pour voir, il ne faut pas avoir peur de perdre sa place ».

Plus la soirée passait, plus j’étais solidaire de cette proposition artistique et plus j’avais l’impression, en restant là, de concrétiser un acte politique. Claude Wajcman précise que l’Art divise et que la culture rassemble. Avant ce soir là, cette citation aurait pu soulever chez moi un profond désaccord. J’avais longtemps vécu avec l’espoir chevillé au corps que l’ art est pour tous à l’instar de Joseph Beuys et sa question de la « Sculpture sociale ». Mais, assise à cette place tel un membre de ce « corpus public », je céda à ma propre discorde.

Comment s’était terminée la pièce, combien avait quitté la salle? Ces questions ne trouvent pas de réponse dans mon souvenir. En revanche, je sais que nous nous levâmes sans quitter notre posture citoyenne, que quelques applaudissements avaient encore cours, lorsque nous avons prolongé cette « scénette » en extérieur.

Ce soir-là, agitée encore par le sens d’une action depuis « L’affaire Castellucci», je me suis surprise à être celle qui pourrait verbalement frapper, rétorquer et sortir d’un conformisme sociétal.

A la hauteur de mon trouble, j’avais besoin de me réparer, corriger cette offense faite à ces comédiens en train de travailler, à qui elles avaient manqué de respect.

Ma voisine disruptive avait un certain public. En nombre, ils l’a soutenaient dans sa prise de parole. Mon équipe adverse s’exprimait sur la nécessité d’intervenir. Ils approuvaient la prise de parole intempestive du public pensant, qu’après tout, ils pouvaient se le permettre. Des hommes, des couples, des femmes, et cette ambiance crépusculaire allait jusqu’à ternir le bar.

Ils ne semblaient pas comprendre que cette pièce nous invitait à penser, à nous rebeller et non à nous soumettre. Ils plantèrent leurs clous, persuadés d’avoir fait quelque chose de bien, d’avoir, à leurs manières, répondu à l’outrage annoncé.

La pièce n’était plus qu’un détail, nous étions devenues, ma sœur et moi, les cibles. Terrible tribunal que celui-ci. Dans une incompréhension totale, nous ne cessions de dire : « Mais pourquoi ne comprenez-vous pas que votre attitude n’était pas recevable, car la volonté de ce texte repose sur le refus d’être outragé. »  Stigmatisées par notre étiquette de parisiennes, nous étions ridicules d’essayer de nous faire entendre alors que nous participions, nous aussi, à cet ensemble concomitant de propos passionnels.

Ce titre, Outrage au Public, est pensé comme un « ensemble de mots forts » en écho direct avec la formule « nous sommes tous public ».

Quel outrage avions nous reçu? Par qui et qui était « le public » ?

L’irruption de mes voisines et leur percée dicible n’était-elle pas hermétique à cet outrage/écho ?

Selon moi, leur nécessité de répondre n’était pas transgressive. Elle répondait, au contraire, à ce besoin vital de garder sa place sans jamais la remettre en question, bêtement, oserais-je dire, sans réfléchir. Conserver son endroit revient à ne plus rien refuser, à rester indifférent. 

Cette proposition de la compagnie De Koe avait suscité, chez moi, du désir, un enthousiasme notamment face à cet art de l’acteur. Cela fut un véritable moment de joie, terni, mis en berne par cet empêchement d’accès au bonheur. L’importance du partage m’avait vaincue.

Je songeais, alors, à ces récits contre-utopiques, 1984 d’Orwell et Fahrenheit 451 de Bradbury avec les mots du capitaine Betty:

« Un livre est un fusil chargé […]. Brûlons-le. Dé-chargeons l’arme. Battons en brèche l’esprit humain. Qui sait qui pourrait être la cible de l’homme cultivé ? »

Nous quittâmes volontaires le quartier, contrariées, en marche avec pour générique de fin, ma 2ème réconciliation du soir avec Wajcman

« Le voyeurisme généralisé se double d’un exhibitionnisme de masse ».

Isabelle Pompe, 2016 – Reprise expérience de spectateur 2011.

Ce texte est non libre de droits.

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