Bertrand Tavernier, trois mots

▲Bertrand Tavernier est un cinéaste avec lequel j’ai peiné, longtemps. Ses films ne trouvaient pas d’écho, pas de résonance dans mes choix de cinéphile. Je me suis tenue, sciemment, à l’écart du cinéaste et de ses œuvres de très nombreuses années.

▵Puis, un jour, alors que je manquais d’air au coeur de mes jours sans un rond, sans un espoir, j’ai planté mes yeux face à son travail.

▵Une idée surprenante, à la limite de la désobéissance psychique, mais au point où j’en étais rendue, pourquoi pas, elle s’avéra excellente.

//Un homme soutien, un homme épaule, réconfortant, réconciliateur aux vertus inenvisageables s’est mis à me parler, à me dire et à me montrer combien ma rage, ma révolte – qui ne parvenaient pas à trouver un quelconque réconfort dans mes environnements quotidiens si petits, si creux- pouvaient être légitimes, justifiées.

▵La maturité aidant, nécessaire à l’appréciation des choses exigeantes, peut-être, toujours est-il, qu’il y a deux années désormais, j’ai trouvé sur mes routes d’exilée des pierres précieuses à mes édifices sociaux.

▵Elles étaient si justes, si sincères qu’elles sont parvenues à transcender l’appréhension qui était la mienne de rencontrer l’éclectisme du réalisateur.

►Je ne saurais dire l’effet que produisit le visionnage puis à 3 reprises successives ou presque de L627, encore moins narrer avec l’exacte précision la découverte de Dans la brume électrique, toutefois, je ne peux plus ignorer, l’importance de Tavernier dans ma vision du cinéma et de la vie toute entière.

◐Le regard qu’il porte sur l’autre, l’amour pour sa ville, Lyon, ses capacités narratives judicieuses et tellement efficaces de prendre le contre point pour raconter, partir du terrain, toujours, de ceux qui composent l’histoire plus que de ceux qui la traitent, l’arrangent.

▾Sa volonté de dire vrai, de parler juste, de faire flancher le mensonge, l’usurpateur…Toutes ses formes d’engagement sont venues certifier mes refus de la négociation politique. Il est devenu celui sans qui.

▾Depuis l’infini justesse du ton, volontiers engagé, en passant par les comédiens fétiches, Philippe Noiret, en tête, acteur magnifique, je ne peux que m’avouer vaincue dans mon orgueil de cinéphile par les claques Tavernier.

◖Son cinéma m’a apporté réconfort, a réchauffé ma révolte, m’a redonné du souffle. Je ne peux que placer, afin de conjurer à mes impuissances leur juste place d’ignorantes, au dessus de tous, un film: La vie et rien d’autre.

⌑J’ai vu Le Juge et l’assassin, me souviens d’un Galabru, endosser, enfin, un costume à sa taille, je me souviens de l’étrange La mort en direct et de cette sensation d’aigreur dans le gosier qu’il m’avait laissé.

⌑Je revois L’horloger de Saint-Paul, une piqûre de rappel de ce qu’est un acte d’engagement par rapport à un territoire d’amour, de prédilection, comment habiter et aimer sa ville comme un résistant.

⌑Certains, et de nombreux, ne sont pas, encore, parvenus à me chahuter le sensible, cependant je refais volontiers le voyage du Capitaine Conan, d’Holy Lola et Que la fête commence…

▁La théâtralité qui est offerte, avec générosité et espièglerie, la sensation superbe d’avoir sous les yeux des performances de comédiens invités à exploser, à déplafonner toutes les capacités de jeu, Tavernier, c’est ce tailleur sur mesure à la maîtrise redoutable qui sait, à la perfection, créer les conditions d’une interprétation extraordinaire.

░Il aime les gens, les comédiens, c’est ainsi que la figure de l’invisible éclate à nos visages, celui dont on a omis l’importance, que l’on juge, que l’on condamne du haut de nos racismes.

LA VIE ET RIEN D’AUTRE

❏La photographie signée par Bruno de Keyser, la musique d’Oswald D’Andrea, la direction magistrale des comédiens, le couronnement des dialogues de Jean Cosmos qui codirige avec Tavernier le scénario font de La vie et rien d’autre, une oeuvre, techniquement, impeccable.

▔Sa perfection se signe par une sensation de spectateur, tout est maîtrisé, certes mais une ardeur, une puissance évocatrice émotionnelle prend le dessus. L’ensemble s’installe sur une excellence, à même de produire la transcendance.

☰Je n’ai rarement vu, en effet, une oeuvre aussi implacable, depuis ses dialogues affutés qui viennent tailler comme des serpes le moindre plan, la beauté de ses images, la singularité de sa musique, l’incroyable interprétation de deux protagonistes principaux et majeurs, Noiret et Azéma... Et quelle histoire!

▢Ce film est souffle de liberté, de justice sur les braises des mensonges de la 1ère guerre mondiale. Porteur d’une intégrité mémorielle, il est, également, formidable message d’espoir. Aucune ombre au tableau, La vie et rien d’autre serait cela, la toute puissance indéniable de la vie.

◒ Nous ressentons le profond malaise de ses accusations, nous trempons dans un bain de brumes où séjournent des pertes, fracas, injustices. Réparer les vivants, aider les morts.

◌Les disparus, ces êtres humains fauchés, les chiffres, éhontés, de ce conflit plus meurtrier et effaceur, voire arrangeur que jamais apportent leur jalon de responsabilité et de froideur à la trame.

▾Cette histoire de recherche sans fin achemine nos émotions, nous sommes ces familles, ces neveux, ces époux, amants, ces hommes. Nous les suivons à la trace, à la recherche du moindre objet, de la plus infime signature, depuis cette marguerite sous cette tasse, jusqu’à cette alliance, de cette extension de lui-même, celui aimé mais disparu, dont on connait le nom, la date de naissance, la couleur des yeux -bleu gris- et dont on croit connaître la vie…

▾Nous sommes, nous-mêmes, veuves, orphelines, avec nos questions sans réponse, ultra concentrées dans nos volontés, sans réaliser que tout à côté de nous, une femme recherche le même homme et que, celui qui a composé nos jours et nuits, est tout aussi présent et vivant dans les souvenirs d’une autre.

▾De cet espoir surgissent des bribes, des lots de consolation puis des aveux s’effondrent au prix des découvertes: ils sont morts. Émus par ces êtres abandonnés à un sort tout aussi futile que dévastateur, nous nous trouvons au coeur de cette froideur administrative avec un homme, à portée de nous, obsédé par la recherche de la vérité, par la réhabilitation des faits.

◕Il est à la bagarre cet homme de pouvoir, coincé, empêché, droit dans sa conscience.Noiret interprète à la perfection, avec toute l’amplitude obligatoire, ce héros tragique. Muette d’admiration, je me trouve.

Azéma est si belle, si juste, elle aussi, que nous nous laissons aller à la contemplation de cette histoire d’amour.

◤ »Rien ne vous terrorise plus que les femmes »…Depuis cet instant cinématographique, écrin, je mesure que la scène qui va suivre réclame une attention intense:

Arrêtez-vous, arrêtez-vous

—–

« Voulez-vous de moi, de moi telle que je suis ?

Il ne s’agit pas d’ouvrir un commerce ensemble Monsieur Delaplane, il ne s’agit pas de confiance, il s’agit d’amour, de passion, le temps d’un éclair peut suffire à décider de l’envie qu’on a d’être l’un à l’autre, à jamais…

Il y a une formule commandant, trois mots, il suffit de les dire et l’engagement est pris, irréversible, je vous suivrai partout, avec mes robes, mes yeux noirs, mon violon et mes folies mais sans passé, sans passé amoureux, trois mots qui nous livrent l’un à l’autre. « 

Une seule réplique de cinéma, un seul épilogue…Tavernier serait tout cela.

Isabelle Pompe L, 27 mars 2021.