Tout peut être patrimoine ?

« Le terme patrimoine, du latin patrimonium, est utilisé de façon systématique dans la langue française depuis le milieu du XXe siècle, et son utilisation est notamment formalisée par l’Unesco.

Cette notion supplante entre autres celle de « monuments historiques » qui prévalaient depuis l’instauration, en 1830, du poste d’inspecteur général des Monuments historiques. »

Conséquences : il reste, jusque dans les années 1970, majoritairement matériel et bâti, monumental, architectural, rare et précieux. Une notion en débat: le patrimoine par Julie Deschepper

Aujourd’hui, le patrimoine jouit d’une très grande attractivité reliant nos sociétés du passés, présentes et du futur.

JULIE DESCHEPPER

Julie Deschepper est assistante scientifique au Kunsthistorisches Institut in Florenz et membre du Centre de Recherches Europes Eurasie.

Docteure de l’Inalco, elle a soutenu en 2019 une thèse intitulée « Le patrimoine soviétique en Russie : acteurs, discours et usages (1917-2017) ».

En 2019-2020, elle a été chercheuse post-doctorante Max Weber à l’Institut universitaire européen. Ses recherches portent sur les théories du patrimoine et la culture matérielle du socialisme, notamment les monuments, l’architecture et les objets soviétiques...Source

Le patrimoine est politique, il évoque la grandeur d’une nation

Les années 80, voit l’inflation patrimoniale modifier la conception du patrimoine, en modifier les contours, les élargissent, le patrimoine en passant d’un patrimoine monumental, religieux et souvent aristocratique, vers les patrimoines populaire, urbain, contemporain, rural et naturel.

Patrimoine vert de la Creuse

L’impressionnisme, une vision patrimoniale

Nous pouvons ré observer notre « patrimoine » depuis la production d’images, à l’instar d’une histoire de l’art qui se dessine autour des contours de la place de l’Impressionnisme aujourd’hui, emblème d’un art français, de la culture du bon gout, par exemple, et de sa capacité à être muséalement attractive, à être populaire par process d’hyper focalisation en matière de programmation cultuelle.

Le succès des expos et musées impressionnistes

  • Succès impressionnant pour le maître de l’impressionnisme: l’exposition Monet (2011), qui s’est achevée lundi soir au Grand Palais, à Paris, à l’issue d’un marathon de 4 jours et 3 nuits, a accueilli un total de 913.064 visiteurs, a annoncé mardi la Réunion des musées nationaux.
  • Il s’agit de la plus forte fréquentation pour une exposition en France depuis plus de 40 ans. Seul le pharaon Toutankhamon avait fait mieux en 1967 avec 1,2 million de visiteurs pour une exposition qui avait duré plus longtemps (six mois et demi au lieu de quatre) au Petit Palais.
  • Un succès qui laisse sceptique, Pierre Wat, spécialiste de l’art du XIXème siècle et de l’art contemporain, qui souligne que Monet serait comme la figure d’un papa offrant une peinture proche de ce que nous aimions dans l’enfance:

« Depuis plusieurs années, on assiste à une spectacularisation des expositions autour de grands noms qui servent de +blockbusters+ ». Cela devient l’événement à ne pas rater et on tombe dans la surenchère ». Ce n’est pourtant pas la meilleure façon de contempler la peinture », dit-il ». Source

L’impressionnisme est devenue cultuel, un rétroviseur vers lequel on se tourne, bien trop, au point de créer un schisme plus qu’un parti pris, entre deux mondes, deux « traductions de patrimoine ».

Une façon de hiérarchiser une culture bourgeoise conservatrice face à une culture populaire, urbaine, industrialisée ?

Le critique d’art, Philippe Dagen, s’insurge sur la capacité des musées à organiser des expositions sur l’impressionnisme à tout prix sans fondement réellement scientifique comme « l’impressionnisme et la mode ». En effet il pense que certaines de ces expositions, avec des thématique très précises, sont juste prétextes pour faire venir le public. Il pense que le mouvement est devenu un « business » pour les musées et que mettre l’impressionnisme à toute les sauces est un moyen de faire beaucoup d’entrées.

L’impressionnisme, une certaine vision de la banlieue…

De nombreux bourgeois se représentent les marges de Paris comme un univers de misère et de criminalité, peuplé de familles pouilleuses, de chiffonniers et de vagabonds. Les ouvriers eux-mêmes nomment Cayenne les « bagnes suburbains » dans lesquels ils travaillent, terme qui montre assez « la répulsion qu’ils soulevaient, liée à la fois à l’éloignement et à la dureté des conditions de travail » (A. FAURE, sous la direction de, Les Premiers Banlieusards. Aux origines des banlieues de Paris (1860-1940), Créaphis, 1991, p. 88).

Pourtant, au XIXe siècle, les banlieues et les villages des environs constituent aussi pour les Parisiens un lieu de détente qu’évoquent aussi bien Flaubert et Maupassant que Zola et les frères Goncourt. Les impressionnistes, Monet et Renoir en tête, se sont plu à représenter ces divers espaces de loisir, de sociabilité et de plaisirs à quelques kilomètres de la ville.Source

Monet, Les coquelicots à Argenteuil, 1873- Musée d’Orsay.

  • Le mouvement pictural voit le jour vers la moitié du XIX et s’expose publiquement à Paris de 1874 à 1886, se fait rupture avec l’art moderne et la peinture académique.
  • Il exercera une grande influence sur les arts visuels de l’époque, ses artistes forment une avant-garde, cependant, aujourd’hui, de par les images de plein air, de loisirs, de plaisirs et une certaine vision de la ruralité, qu’il évoque, il est devenu portrait insouciant de la bourgeoisie.

La France pauvre au XIXe siècle est d’abord paysanne et rurale avant d’être ouvrière et urbaine, elle est aussi le privilège de la domesticité qui structure si durablement les relations économiques et sociales jusqu’à la Première Guerre Mondiale.Source

De plus, à Paris, en 1871, soit, trois années plus tôt, c’était La Commune de Paris, une période insurrectionnelle qui dura 71 jours, du 18 mars au 28 mai, dont nous fêtons les 150ans cette année.

Je ne peux que chaleureusement vous convier à l’écoute des podcasts France Culture ou à regarder le documentaire d’Arte, Les damnés de la commune

Ce pourquoi, un mouvement comme l’impressionnisme semble appartenir à une conception du patrimoine bourgeois.

CONCEPTIONS du Patrimoine

A ce titre, par exemple, nous pouvons nous demander, aujourd’hui, si ce basculement, ce bouleversement entre les différentes conceptions du patrimoine sont sincèrement pris en compte par les collectivités locales et régionales ?

Est-ce que la réaffirmation d’un passé commun est-elle à l’oeuvre ?

Pourtant, « les objets patrimoniaux sont donc aujourd’hui définis par leur diversité : architecture, monuments, œuvres d’art, objets du quotidien, biens immatériels, pratiques, traditions intellectuelles, sites, paysages, traces biologiques, animaux, ou encore données numériques pour ne citer que les exemples les plus parlants.

Tout, donc, ou presque, peut devenir patrimoine

Pourtant, lors des journées du patrimoine, semblent, sciemment occultés les diversités, le patrimoine religieux représentant une grande part de valorisation, par opposition au vernaculaire ou au folklore. Le patrimoine architectural comme celui des châteaux fait l’objet de davantage d’actions qu’un patrimoine industriel voire immatériel ?

Observez les programmes de ce qui se passe dans votre ville, département et région, et faites un petit point sur la question.

Lorsqu’on dit « patrimoine », on pense en général à des bâtiments, des constructions, de la pierre. Du solide, du classique. Parfois au patrimoine immatériel de l’Humanité, reconnu par l’UNESCO, qui distingua ainsi en 2010 le « repas gastronomique des Français ».

On pense moins spontanément aux forêts domaniales de l’État, entretenues et gérées par l’ONF. Allez, venez et promenons-nous dans les bois, histoire d’en savoir un peu plus…Source

En 2001, l’Organisation des Nations Unies a déclaré que le 21 mars de chaque année devait être célébré comme la Journée internationale des forêts.  

Forêt de La Londe-Rouvray, Seine Maritime

La forêt représente 16,5 millions d’hectares en métropole, soit 30% du territoire, dont environ 3/4 de forêts privées et 1/4 de forêts publiques. Les trois départements métropolitains les plus boisés sont les Landes, le Var et les Vosges.

On compte 8 millions d’hectares de forêts tropicales dans les départements d’outre-mer, dont 98 % dans la seule Guyane.

Au regard des autres pays de l’UE, la France dispose avec les départements d’outre-mer de la deuxième position pour sa surface forestière : après la Suède, mais devant la Finlande, deux pays connus pour la densité de leurs espaces boisés. 10 % de la surface boisée de l’Union Européenne est en France métropolitaine.

  • Une déclaration des droits de l’arbre est consultable ici

« Après les châteaux ou les églises, les sites industriels sont de plus en plus protégés, réhabilités ou reconvertis. Ils connaissent aussi un vrai engouement parmi les visiteurs. Témoins des révolutions techniques, industrielles et des savoir-faire, ces lieux à l’architecture souvent monumentale, racontent l’histoire ouvrière, sociale et industrielle de la France. »Source

« La publication « Regards sur le patrimoine industriel de Poitou-Charentes et d’ailleurs » est parue en septembre 2008 dans la collection Cahiers du patrimoine.

  • Cet ouvrage rend compte des contributions du colloque tenu en septembre 2007 et auquel ont participé des spécialistes de diverses disciplines : histoire, géographie, droit, économie, géologie, ethnologie et sociologie. 
  • Il est rythmé par de nombreuses illustrations, dont les photographies de l’exposition qui portent un autre regard, esthétique, sur ce patrimoine.

Regards sur la patrimoine industriel de Poitou-Charente

Le patrimoine vernaculaire

« Dans les Pyrénées catalanes, le bâti traditionnel est particulièrement marqué par le caractère montagnard, les usages agricoles et le développement des activités industrielles et touristiques au début du XXe siècle. Fontaines, chapelles, lavoirs, abris de bergers, etc. témoignent des savoir-faire passés. »

Depuis l’Antiquité, les hommes cherchent à communiquer grâce au feu, visible sur de grandes distances. Les spécificités du relief ont rapidement nécessité une organisation de relais, afin de faire circuler les informations. Plusieurs réseaux de tours à signaux sont connus, notamment dans les Pyrénées catalanes. L’usage des feux prescrit de faire des feux à flammes, la nuit et des feux à fumée, le jour…Source

La question des PUBLICS

L’article L. 441-1 du code du patrimoine7 dispose que « l’appellation “musée de France” peut être accordée aux musées appartenant à l’État, à une autre personne morale de droit public ou à une personne morale de droit privé à but non lucratif. »

L’article L. 441-28 définit les missions du musée :

  • conserver, restaurer, étudier et enrichir leurs collections ;
  • rendre leurs collections accessibles au public le plus large ;
  • concevoir et mettre en œuvre des actions d’éducation et de diffusion visant à assurer l’égal accès de tous à la culture ;
  • contribuer aux progrès de la connaissance et de la recherche ainsi qu’à leur diffusion.

Selon la base de données Museofile, du ministère français de la Culture, on répertorie 1223 musées au 1er janvier 2020.

Ces différents musées connaissent une différence de fréquentation quant à la question des publics. Les publics traditionnels des musées darts (ils sont 768 en France) sont différents des publics des musées d’art et d’histoire, par exemple, des musées d’histoire naturelle

  • Il y a 574 musées des sciences et techniques en France. On compte plus de 550 musées traitant de sciences et de technologies en France. Parmi ceux-ci vous trouverez les musées de la mobilité avec les musées de l’automobile, de l’aviation, du train, du vélo, de la moto,…. Mais aussi des musées de l’industrie et de la manufacture avec les musées de la mine, de l’énergie, de l’électricité, de l’horlogerie, de la lunette,…. Et enfin de la recherche et des sciences appliquées avec les musées des sciences du futur, de la recherche, de la médecine, de la pharmacie,…)Source

Vous pouvez consulter cet article publié en 1993, ancien certes mais toujours instructif, par Olivier Donnat Les publics des musées en France ou encore télécharger quelques articles de l’enquête d’Olivier Donnat et Paul Tolila Les-publics de la culture

A titre d’exemple d’intervention, voici une rencontre:

OLIVIER DONNAT : Sociologue au Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture et de la Communication.

Je ne peux que vous conseiller l’écoute des podcast suivants: A qui profite la culture ? et Qu’en est-il de l’égalité face aux pratiques culturelles?

A cela, nous pouvons indiquer les questions de distinction, pour exemple celle des filières scolaires, les techniques supplantées par les générales. Même si nous constatons un retour sur les questions d’intelligence de la main, nous ne perdons pas de vue, au niveau institutionnel, le prestige de certains métiers et les notions d’excellence si chère à la France qui doit faire référence…. Vous pouvez allez voir du côté du salon international du patrimoine culturel. A l’onglet présentation, il est donné à lire :

  •  » L’héritage culturel est ici mis en lumière pour mieux vivre et se réinventer. (Quel héritage et quelle culture ? )
  • Référence dans le paysage événementiel international, le salon illustre la richesse du patrimoine bâti, comprenant notamment les sites et monuments historiques, comme le patrimoine immatériel.
  • Lieu d’émulation où artisans d’art côtoient entreprises et institutions influentes ou encore des acteurs des nouvelles technologies. »

PROCESSUS de Patrimonialisation

En outre, dans cette logique écrasante parfois, nous subissons une mise en concurrence entre territoires comme pour ce Loto du patrimoine, qui, bénéficie, d’une très grande couverture médiatique mais de quels patrimoines s’agit-il ?

Le processus de patrimonialisation est, en effet, à questionner, pourquoi, quelles logiques et que patrimonialiser ?

La mise sous cloche, la muséification des espaces de référence, ville, lieux et pratiques interrogent sur le commun et sur les séparations engendrées par ces choix: depuis le vivant jusqu’à ces cibles : l’habitant versus le touriste ?

La patrimoine comme levier, comme vecteur, mais est-il possible à définir ?

La « patrimonialisation » a évolué, nous quittons la matérialité (mémoire, histoire et monument), pour nous tourner vers la critique de cette production de patrimoine.

Un champ recherche voit le jour, entre 2006 et 2010, celui des critical heritage studies ou études critiques du patrimoine [8].

Bien que composées de diverses traditions épistémologiques, il tend vers une trajectoire commune et partagée par celles et ceux qui s’en réclament :

Diversifier les objets de recherche, sources, terrains, méthodes et pratiques afin de décentrer nos regards et désoccidentaliser, voire déseuropéaniser, nos approches.

Faire apparaitre les diversités de cultures et d’imaginaires et reconnaitre la pluralité des discours

L’idée étant de reconnaitre le caractère politique de cette production de patrimoine. De facto, son histoire est liée avec celle des pays traversés par le colonialisme, nationalisme et impérialisme, à même d’engendrer un élitisme culturel, un triomphalisme occidental porteur d’exclusion sociale fondée sur les classes et les ethnies » (Manifeste des Critical Heritage Studies, disponible en ligne).

Un manifeste des études critiques du patrimoine a vu le jour en 2012, sur ce qui fait « discours ».

Critical heritage studies

Réseau Francophone

Le réseau francophone d’études critiques sur le patrimoine cherche à promouvoir et diffuser la recherche en langue française sur les patrimoines et les patrimonialisations, à permettre l’existence de différentes approches épistémologiques au sein d’ACHS et à rassembler les chercheurs intéressés par ces études.Source

  • Rappelons-nous l’article, paru le 11 février de cette année, sur le brutalisme, sous forme de SOS, en matière de patrimoine architectural en grand danger : Peaux de béton en état d’alerte

MATRIMOINES

Nous pouvons souligner que le matrimoine devrait faire partie intégrante de ces journées du patrimoine sur tous les territoires, c’est une nécessité absolue. Pourquoi ? Parce qu’il est question de réparation de processus invisibilisant vis à vis des femmes, de parité, de justice, de créations de modèles, d’émancipation…

Matrimoine culturelle, artistique, sportif mais aussi scientifique, citoyen, politique…Les questions de programmation culturelle doivent prendre en considération ces legs diversifiés afin d’ouvrir le champ et les périmètres d’exploration, sortir des cloisonnements et quitter la strate de l’exception!

Nous reviendrons, dans une série d’articles, sur ces questions!

 » Aujourd’hui, l’existence de ces discours et pratiques pluriels est reconnue, et tout l’enjeu est de redonner leur place à ces « frictions » patrimoniales (Karp et al., 2006) et à la « multi-vocalité morale, politique et économique que peut exprimer et porter le patrimoine » (Bondaz et al., 2012, p. 18). »

(Re)donner la voix aux acteurs et actrices du patrimoine qui ont été ou sont encore exclu(e)s des processus de patrimonialisation (en particuliers aux minorités de genre, de classe et d’ethnie et aux communautés marginalisées), et les replacer au cœur des récits et travaux sur cet objet de recherche, et ce dans des contextes variés dont il faut toujours souligner la singularité. » Source

Isabelle Pompe L, 06 avril 2021.

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