Affermir son socle

En 2024, c’est la première fois que je suis devenue organisatrice d’un coup d’essai en cette période, longtemps étrangement vécue, Noël…

L’étrange Noël de ?

Enfant, je sais que des plages arrières de voiture se gavaient de cadeaux et qu’à ce moment-là, nous allions entreprendre de longs et périlleux voyages.

La neige, notre ennemi d’autoroute, nous perdrait chaque année, à coup sûr. Une Renault 25 anthracite ou une Renault 20 blanche, toutes deux blindées comme des mules, s’essayaient au slalom. Mon père, as du volant, ma mère terrorisée, toute en cris ne jouait plus au jeu des départements. Et d’une parce qu’il n’y avait que des D et de deux parce qu’on y voyait plus rien.

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Berlin mon école Victor Hugo, sans moi, en 1976

Ces véhicules cocons allaient parcourir environ 1200km, traverser trois frontières, mettre tant de temps pour rouler sur une parcelle de route tenue par les russes, l’Allemagne de l’Est…Nous redoutions, surtout ma mère, ces passages nommés: Glacial accueil ou encore Checkpoint.

Charlie? Oui, lui aussi mais il est n’est pas sur cette carte.

Un jour, ils nous ont demandés de nous arrêter, armés jusqu’aux dents. C’est peu dire si on a flippé. Vider la bagnole comme disait mon père, ma mère, en furie, de devoir tout ranger, au millimètres près après le passage de l’ouragan frontalier. Je n’avais peur de rien. Safe. Tout était safe. Eux, en Kaki, visages fermés, écarlates, ils avaient si froids. Leurs armes collées au corps étaient aussi grandes qu’eux.

Noël c’est aussi, avant, Beaune, des sapins clignotants à longueur de journée, des canapés en velours à enfourcher pour s’amuser, des dessins-animés. Un oncle et un surnom: Isabellovitch.

Des cadeaux maternels toujours touchants, des cadeaux paternels toujours de nuit. L’homme de la nuit, c’est comme cela que ma chère sœur a baptisé mon père.

Absent, longtemps, loin, souvent, la nuit, parfois, présent.

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Hannah Arendt

Noël comporte son lots de vernis, d’hésitations, de déco rétro, de couleurs qui claquent, de faux départs et de drames.

Noël 1993, mon père est mort deux mois plus tôt. Douleurs, crispations, nous sommes à Nantes avec mon frère, ma sœur et ma mère. Un souvenir, encore aujourd’hui, terrifiant.

Trois années d’agonie.

Noël 1996, nous sommes à Saint-Nicolas de Port, à côté de Nancy, avec mon frère chéri, ma sœur folle et ma mère chouchoute mais sans emploi. Dehors, Tout gèle, le break Mercedes rouge aussi.

4 ans passent sans faillir.

Noël 2000, Rayon 146. Transie d’amour pour un type que je trouvais inaccessible. Des coffrets, des rires et des blagues plus tard, je faisais partie, pour la première fois d’une famille collègues démonstratrices, trop différentes de moi mais très attachantes.

2001, L’odyssée pas de l’espace. J’aime toujours mais pétrifiée par ma sensibilité, je ne dis rien jusqu’à ce qu’il me prenne une idée folle pour septembre, jour de 6.

Ma manière d’être, en amour, sidère. Je sais, les coups d’éclat, c’est mon explosion déclarative à moi. Je gère souvent très mal, ensuite les faces à faces, les rdvs manqués ont souvent marqué mon jeu de dés. Ensuite, j’ai peur, j’hésite, je n’ose plus me jeter, je travaille mon œuvre, sans habilité.

Aparté/ Printemps Haussmann, 2001. Cette minute de silence en plomb après les attentats du 11 septembre, je m’en souviendrai toute ma vie. Le malaise et les frissons qui parcouraient tout mon corps en un moment solennel, c’était très impressionnant… J’ai souri. Comme ce fou rire qui avait choqué ma tante lors des funérailles de mon grand-père. J’ai lâché un rire! Mes nerfs, cons comme la lune, ont craqué.

Noël 2001, Printemps Haussmann

Lors de cette épisode, je gère mal, je respire, mal. Je sens le malaise envahir le moindre de mes pas, mes gestes manquent de naturel. Le rire hystérique, je nage, sapée jusqu’au cou, à contre-sens. C’est certain, les fleurs bleues ne parviendront pas à plomber mes ailes.

J’ironise sur mon lot, là, à participer au commerce de flacons dont le bleu, l’or et le blanc sont les drapeaux. Je bataille grave pour faire du chiffre comme on dit, je suis épuisée par ce stress, ces jambes poteaux au cœur de ces journées de patchouli et Jasmin, enfermée, debout, à aller et venir, pas à ma guise.

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Ce grand magasin et ses vitrines magiques… J’aimais beaucoup cette femme du merchandising pour son décalage solaire.

J’étais perchée sur ma branche, isolée, entourée, observée et mal embarquée.

Present time: L’amour, à cet instant, se fait passe-muraille, telle une fumée, floute les allées, transperce ces comptoirs, transpire sous ma veste, me saisit au cou. J’aurais aimé partir, avec lui. Sortir, prendre l’air, le temps d’une cigarette amoureuse et commune dans cette rue de Provence pas jolie pour un sous mais arrière base fétiche de tous mes plans sur la comète.

2002, un Noël raide en négociations, je suis mise à la porte, règlement de compte personnel me souligne une femme hiérarchique que l’on appelait Madame. Je suis avec mon dernier Noël dans cet antre que j’aimais. La gorge toute sèche, je n’en mène pas large. Je sais qu’il fera une apparition. Comme mon père, il est l’homme des apparitions. Puissantes, toujours, explosives, souvent.

La vague se forme. Je vois, ici, sous mes yeux, celui que j’ai perdu. Cet être que j’aurais adoré.

Sous le couperet du « casse-toi pauvre conne », noire de deuil, je rature mes cahiers, range mes placards.

Dans tous les sens du terme, je serai remplacée, ou pas. Il sera le dernier, là-bas.

La fin d’une période bénite où toutes et tous nous nous sentions chez nous, les pieds dansants sur ce marbre superbe, les trajectoires toujours fluides, les itinéraires, connus par cœur, des raccourcis géniaux vers les salles de pause bouffies de cigarettes.

J’aimais ces sourires, faire rire mes collègues, au point d’être à la retraite, sur le quai de gare de leur carrière. Les yeux et le cœur perforés d’émotions, je n’ai pas pleuré.

Noël 2004, je suis à Nancy avec celui qui m’offrit un livre de Salinger. Décédé depuis, j’ai souvent pensé à toi, Sacha, à tes parents que tu n’avais pas revu depuis des années, à ta sœur, à ta grand-mère qui nous croyait ensemble, à nos enfumages, à mes vomis.

Je ressens encore ce trajet de train, avec toi, dans ces couloirs étroits du retour pétés de vacarme, instables, on se croyait en mer! Tu pris un billet parce que tu voulais fuir. Rentrer à Paris quitte à payer très cher. J’ai adoré ce trajet. Je te voyais et te considérais comme mon petit frère, émue par tes larmes à ces terrasses de café. Tu étais lié à celui que j’aimais et je ne le savais pas. Je revois ton anniversaire, Paris, ton 18ème arrondissement, son frère.

Noël 2013. Mon frère disparait des suites d’un cancer. L’horreur absolue. La souffrance comme jamais. Muette, je resterai durant des mois.

Noël 2014, un premier moment mortel de famille sans lui.

— Nous ne pouvons imaginer ce qui va suivre, ce 8 janvier 2015 et cette entrée par la porte la plus laide vers le cauchemar collectif.

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Noël 2020, je découvre la confirmation de ce que je craignais. Une branche de mon arbre se nomme. Elle sort de cette ombre, figée en moi, Lehrfeld confirme son patronyme et éclaire de sa tragédie mes arcanes les plus sombres. Voici la 3ème lettre de mon deuxième nom: L

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Noël 2021, j’ai déménagé. Depuis un mois, je suis, à Vayres chez ma mère et, par Led Zeppelin IV, proche de toi.

Noël 2024, j’ai perdu un ami de 13 ans. Je me bagarre avec un homme depuis deux ans. A l’approche de Noël, je pense à toi. Septembre. Je déroule un tapis rouge sang pour un événement qui se déroulera le jour du solstice d’hiver, le 21 décembre. Je fabrique des objets, je retrouve ces deux boules à facettes d’Haussmann R146.

Cette date phare est symbolique. Que le jour le plus court de l’année soit celui du temps fort. Je célèbre avec ma famille d’amis, d’amants. J’affermis mon socle. La Côte d’Or est avec moi, Berlin, blottie, vient serrer Paris sans ses rangs. Je pense à ce sud suant de sueur où j’ai failli vivre en fin d’adolescence, à cette ville de Toulouse, ville chère à mon père, Rouen se trouve, enfin, loin, Géricault, frère de noir, tout autant.

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Nantes ne me hante plus.

J’entends les voitures rouler dans ces flaques d’eau, je déplace mon corps et me retrouve dans des draps vieux de trente ans, rue du père Bouillevaux.

2025, quelles promesses contiens-tu dans tes pores?

J’aspire à te revoir Bertrand, tout en lettres, rides et musiques!

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Published by: Isabelle Pompe L

Isabelle Pompe L a.k.a IPL est une autrice et photographe française. Porteuse de projets "culture et écologie sociale". Militante et membre fondateur de l'association "Vayres à Soi" pour une écologie sociale en milieu rural!

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2 réflexions sur “Affermir son socle”

  1. Beaucoup d’émotions dans ces Noëls évoqués en touches impressionnistes.

    Par le plus grand des hasards, je reviens de Nancy. J’ai failli m’arrêter à Saint-Nicolas-de-Port, en allant à Lunéville. Dans cette région associée à saint Nicolas plus qu’au père Noël, comme ici en Belgique.

    Bonne année 2025 !

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