LA RUE
« Dresser un portrait serait prétentieux de ma part, prendre le temps de prendre le pouls, écouter, observer et tenter serait plus juste envers cette ville dont l’image est souvent ternie par son « actualité ». Je ressens de profonds points communs entre elle et ma ville de naissance, Rouen, que ce soient l’importance historique de son passé industriel, son port, son passé ouvrier, cette Seine et cette idée de frontalité inhérentes aux rives.
J’aimerais ôter ces mots zones, limites et frontières pour rétablir la réciprocité équitable de ces rives. « Cartographier » pour restituer, rétablir une image juste et précise, chercher sans thèmes classiques, rencontrer, me trouver en face, en être traverser. Présent, vivant, être un élément participatif d’un même lieu, de cette même cité, me mettre au rythme de cette commune, de manière naturelle le travail iconographique de mémoire prendrait forme. Un territoire possède ses caractéristiques propres, ses variables, mettre un visage, nourrir une image pour qu’elle soit honnête et pertinente, étayer la nature d’un espace urbain jusqu’aux détails. Signifier le ressenti, l’éprouver est une manière loyale de parler d’une ville. Une ville donne à voir et à entendre, j’aimerais me frayer un passage jusqu’à ses images et ses sons, m’ouvrir pour ressentir, m’inviter au voyage, ne pas m’y attendre, recevoir une forme de résistance, m’apercevoir d’une réciprocité, d’une entente. J’aimerais révéler congrûment les instants de vie, de partage, de partance que seront les miens avec cette ville. »
La photographie lui est parvenue alors qu’il avait quinze ans, en 1985, par le biais d’un appareil abîmé qu’on lui mit au défi de réparer. Il démonta cet objet. Il prit. Il a photographié, s’est senti à sa place avec ce boitier dans les mains. Plongé dans un constant désir de connaître et de maîtriser l’univers technique de cet outil, il a très tôt installé un labo chez ses parents, au « Lodz » du quartier de la Grand’ Mare à Rouen, ses accès aux connaissances artistiques sont venus de ses voisins, artiste peintre, enseignant aux beaux-arts, éditeur disposés, en retour, à le faire travailler.
Pendant les dix années suivantes, il a parcouru différents pays d’Europe grâce à des réseaux de connaissances artistiques acquis au fil de ses travaux, le fruit de ces collaborations a donné naissance à des commandes (Haïti), à des expositions en Europe de L’Est et en France. Au fur et à mesure, il a réalisé combien cette pratique le mettait en confiance.
– Dès lors, en pleine possession de ses moyens et avec ce profond besoin d’approfondir ses connaissances et ses compétences, il a nourri son œil en se frottant l’iris et le corps à un très grand nombre d’expositions.
Il a travaillé la photographie selon ses différents courants ou appellations, certaines formes se sont imposées notamment la photographie documentaire, le reportage mais aussi la pratique du portrait, les techniques du studio, le film photographique, il a, en outre, collaboré à différents projets transdisciplinaires pour enfin créer son propre atelier/Galerie Point Limite en 2013 à Rouen.
La spécificité de son travail artistique réside sur cette démarche pulsionnelle de la rencontre associée aux règles de la composition et au formalisme du cadre. La rue est une source perpétuelle où trouvent vie et mort des visages, des expressions et des masques.
Dans une recherche frontale, il saisit, prend ces traces, ces mouvements de vie à la fois inhérents à la rue ainsi qu’au rythme et au souffle de la ville.
Son univers photographique repose sur cette nécessité de la rencontre, de l’écoute de l’œil. Une scène de vie, la captation d’un laps de temps, l’expression d’un visage associée à une réponse- mouvement d’un autre corps, tous ces instants possèdent la même fragile solennité lorsqu’ils se produisent dans un lieu antonyme du « dépouillé », la rue.
La rue a sa propre ubiquité.
Ce décor omniprésent pourtant s’efface ou se retire, enfle, se gonfle, accroit et durcit. La rue est un lieu social et asocial à la fois car chacun peut y être seul sans ressentir le besoin de l’autre, y être par nécessité, par obligation, par humeur. Ressentir le besoin de présence de l’autre et être révélateur de pression, elle force et contraint l’homme au contrôle, laisse dériver, elle a la raideur de l’ultime terre, de l’ultime témoin de l’état d’une époque et d’une société.Sa démarche de travail est celle d’un passant « obturateur », la rue est une matière première très riche, son œil attend l’ajustement idéal. Le cadre d‘une rue connue ou non, la composition que suscite cet ensemble architectural.
Les enseignes et la visibilité publicitaire de certaines marques sont ces données à traiter avec différents degrés d’importance, corriger ? La présence d’un véhicule pourra susciter le désir de le contourner, l’évitement fait aussi parfois parti du jeu, le contexte oui mais l’époque, le spatio temporel pas nécessairement. La place forte est celle de l’humain, son décor essentiel et premier est cette rue. Cette rue a besoin de ces corps pour enfler et vivre. Son regard, instinctivement, se place, se cale, sur la force d’une face, le tour de force d’un corps, l’humain aux prises avec le dehors. Quelle importance revêt cette réalité d’extérieur, est-elle truquée? Il ne le sait pas et s’en détourne, les hommes mentent mais selon lui la rue nous poussent nus au regard sans égard.
Sa technique relève du noir et blanc, IL pratique le numérique essentiellement, alterne compact et reflex.
IN SITU/ l’homme dans son fil – Portrait du photographe Guillaume Painchault.
Photographie : ©Regard mouvant- Guillaume Painchault
Isabelle Pompe L. In Situ, l’homme dans son fil – Portrait , novembre 2015
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