Out of scope

Avez-vous, déjà, fait l’expérience d’une vie professionnelle diversifiée ?

Par curiosité, par soif d’apprendre, par stratégie ou instinct de survie, vous vous êtes, un temps, pliée puis comprenant que ce n’était pas dans votre intérêt psychique, pour votre santé mentale et votre conscience, vous avez choisi la sortie.

Il vous est apparu cohérent de quitter un endroit qui vous réprouve, qui vous invite à promouvoir, à diffuser de la toxicité, pour polluer des esprits, déjà, bien malmenés.

Gaver, non, vous c’est le manque que vous connaissez, la jolie carence sociale, le déficit familial, la rareté mais pas la lacune ni l’omission.

Instable vous disaient-ils? S’ancrer, avec fidélité, se visser à leurs corps, ils vous demandaient, toutefois, votre perspicacité, pas tordue du tout, a fait toc toc, vous alertant sur le non bien fondé de cette histoire sans fond ni forme hormis l’oubli de vos origines, l’effacement de votre histoire. 

Vive l’indépendance, ils clament.

Connaissiez-vous son prix ?

Vous avait-on présenté une image de celle-ci ?

Fil à coudre, fil à retordre

A ce titre, depuis des années, vous vous demandez si vous êtes, encore, bloquée sur des aires de repos, car ne c’est pas le fruit de votre imagination ni le début de votre folie, vous avez bien déménagé, vous revoyez ce compteur kilométrique et vous avez ces numéros de département qui veinent, « comme il faut », vos heures.

Or, elle a cet aspect quasi identique, peuplée de perdus, de paumés, vos pieds la reconnaissent, votre esprit, pareillement, la même, qui change, le temps passe et vivante vous demeurez, seulement, la même vous tend ses morceaux choisis, son ouvrage mal fait, son grain épais, ses bribes difformes et ses coins ratatinés.

Il n’empêche que, malgré votre capacité à prendre le risque de faire du stop, oui, vous avez le droit de prendre la route d’une carrière bis, les voitures passent et vous restez là.

Les offres se présentent, vous vous rendez au guichet, mais votre billet de sortie n’est pas retenu, pas validé. Vous êtes déracinée et enracinée, contre votre gré, dans cette aire.

Vous questionnez ce fichu bout de papier, « sans date » vous répond-il, est-il un CDI ?

Oui, par effet de miroir et/ ou de manche,  allez savoir, il imite les traits de celui que l’on connaît, bien, même si le CDD avait nos faveurs, votre ticket du moment reprend les airs, à la mine de l’autre sans être assorti d’un salaire ni d’un nombre d’heures calculées.

Sans âge, le CDI tout faux, tout fake ? Persistance de l’image…

Aucun contrat vous ne vous souvenez avoir signé, pourtant, il insiste, je suis, dit-il, un contrat à durée indéterminé.

Il a quelque chose de pourri au royaume du Pôle

Elle est longue l’exclusion du marché. Là, vous consultez votre solde, commandez un avis de situation, est inscrite une date de début, vous lancez un avis de recherche pour votre état des lieux de sortie.

Silence; on vous invite à répondre à un questionnaire de satisfaction. Vous ne rentrez pas dans ce jeu de l’évaluation.

Que pourriez-vous soupeser ?Estimer ? Déterminer ?

Puisqu’à votre nom et numéro d’allocataire se sont greffés, sur vos os de perdante, les signes reconnaissables du non-sérail, de la non-famille, orpheline de secteur, vous errez, dans les limbes des services, culturels ?

Non, tout ameubli, votre espoir croise des endroits, des espaces, des lieux-dits avec des toits, des murs et des cloisons, face contre vous, l’apocryphe, toute détenue, il vous lâche, pleine poire, leur frontispice idiomatique: Médiathèque, Musée…

Vous avez les oreilles qui se bouchent, elles sont saoules, ivres mortes d’avoir, encore, et oui, encore, à entendre la sérénade sur les demandeurs d’emploi, les sans emplois fixes, les SEF, les sans fixité aucune, car sans emploi, quel est votre accès au logement et à l’autonomie ?

Sans, je suis sans, sans, nous sommes sang.

Debout, couché, ça fait combien?

Les « avec » vous toisent, vous le savez, les avec ressources, avec vacances, avec familles, détenteurs, possesseurs cumulent et accumulent, cliché ?

Vous pensez que ceux qui sont à la peine d’un ordre social si mal établi vous répondront que nous préférons être sans qu’avec ?

Parce que par jeu de mots les sans sont les exemptés, ont les mains vides…

Vous êtes les pleins et nous sommes les vides.

Binaire, clanique, relisez-les rapports sur les inégalités sociales en France .

Pourtant, vous n’allez pas brader toutes ces connaissances, ces compétences et ces multiples savoirs, vous n’allez pas foncer dans le vide d’une case fictive, d’une plage horaire bidon, d’un contrat abusif, vous n’allez pas liquider vos cumuls, vos bénéfices en investissant dans une bulle ingrate.

Quel mauvais promoteur de vous-même vous seriez!

Autant votre situation peut sembler immuable, autant vous avez pleinement conscience que le temps passe, y compris, sur votre île déserte.

Ici, nous sommes nombreux à être seul.

A force de squatter, sans le vouloir, votre aire, vous l’avez rebaptisée. C’est, disons-le, un peu chez vous.

Il faut composer avec, vous dit-on. Vous n’avez pas pour habitude de vous asseoir sur ces trottoirs, vous allez, de ce fait, parcourir, en long, en large, de fond en comble, y compris ouvrir les portes, les tiroirs, inspecter ce lieu que vous n’avez pas choisi.

Il vous enferme, il vous tient enfermée, comment cela est-il possible sans votre consentement ?

La nostalgie ne prend pas ses affaires. Pour des raisons personnelles, suite à un grave incident familial, j’ai perdu l’envie de poursuivre un droit chemin.

L’A6 tout à côté, bien connue pour sa dangerosité; n’a pas été celle-là. Puis, à force de vivre, tout près des nationales, vous vous êtes entêtée, pour des questions de tranquillité à prendre des départementales, celles où le panneau directionnel est en panne et la destination lointaine a disparu.

Alors, voilà, vous êtes avec vos bagages, vos langues maternelles, vos options de spécialités, vos projets, il vous arrive de prendre confiance en vos plans sur la comète.

D’atypique au respect de la diversité, le pas est immense

Nulle main tendue, nul n’est prophète en son pays, mais là, d’où je vous parle, en terre galère, en pays clôt, il ne s’agit pas d’une terre ferme, mais d’un territoire périurbanisé, ruralisé, dépaysant si l’on veut, car l’ensemble fausse carte postale possède, encore, un sourire figé.

 En banlieue, en ville, sur les bords d’une ville, aux environs d’un centre, dans des villages, vous avez posé vos trucs. A chaque fois, vous avez saisi la galère du trajet, la contrainte sociale, les difficultés d’accès, par cœur, vous connaissez les principes de désocialisation.

Avez-vous autres choses à m’apprendre ? A me montrer ?

Le système d’exclusion marche à plein régime, la méritocratie, une blague, l’ascenseur social est exempté depuis des années, les transfuges de classe ? Très, très Rare!

Cela fini par être humiliant d’être perçue comme non lue, on ne vous rencontre pas, votre téléphone ne sonne pas, vous recevez des courriers, des mails, votre jeune réseau est empli de parias, d’hors systèmes, sauf que vous n’êtes pas hors-circuit.

Par vos expériences, votre vécu, vous avez cette parole vraie sur les dysfonctionnements de cette société mais malgré vos requêtes honnêtes et transparentes formulées pour ces postes, il semblerait que la démocratie culturelle soit un habit.

Pourtant c’est la loi, idem pour la « sobriété culturelle », vaste sujet qui fait peur, vous comprendrez, aisément, que cet ensemble soit capté dans des mailles de filets impropres à la consommation culturelle.

Ce n’est pas cela qu’il s’agit de pêcher, restons encore hors-sujet, restons entre-nous, faux bâtisseurs d’un demain juste et responsable, posons nos formules toutes faites sans prendre la mesure de leur invalidité et de leur néant.   

La colère ou le fait de réaliser que la ligne droite n’est pas le chemin le plus enrichissant à prendre, vous somme de rester adepte des courts-circuits, des circonvolutions sans fioriture.

C’est la promesse d’un voyage pour ne pas finir au fond, voilà ce que je me répète, alors, en plein milieu de mon aire, je fais de mon mieux pour injecter à mes chaque jour un revenu culturel minium.

Lorsque les férus du carré vous regardent avec un air circonspect, vous ne pouvez vous empêcher de trouver de l’allure à votre parcours, qu’ils qualifient de bancal voire de tordu, par respect pour vous-même et toutes vos batailles.

Vous, sans malhonnêteté, quoiqu’on en pense, vous le trouvez rusé, bossu par adaptation mais ses différents accents circonflexes vous mettent d’accord sur votre talent de gymnaste.

Votre C.V n’a pas à être adéquat, c’est une œuvre singulière qui a le mérite de vous ressembler, votre porte drapeau ouvert au monde, connecté aux questions de sociétés et qui parle, tout vivant et intranquille qu’il est!

Votre manière de passer par la fenêtre plus que par la porte n’est pas pour leur plaire, les tendus, les rigides ont besoin d’y voir clair, de segmenter, de compartimenter sans saisir que votre C.V c’est la photographie de votre vie et de votre personnalité, mais aussi, là, où vous n’avez pu exercer aucun contrôle.

Vivre c’est chahuter, ne pas se taire et réinterroger ses appétences.

Vous n’avez rien lâcher, même au bord de la route, sous les nuées de propos sexistes, racistes, vous avez continué en marchant en diagonale selon leur conception erronée et facile de la suite logique.

Vous ne pouvez ignorer le lien, le fil entre vos passions de jeunesse, la culture et les arts, le sport et la découverte, votre puzzle, ce sont vos lacets de chaussures, ces élastiques qui tiennent vos basques, histoire de ne pas chuter et de ne pas perdre la face.

Vos candidatures, c’est votre calvaire, votre volonté précieuse de vivre en accordant au temps sa forme arquée et sa perfidie.

Vous respectez ces années insensées, ces jours retors. Vous savez que la vie est courte et que vous vous éloignez de ce qui vous privait de votre épanouissement a été votre meilleur idée.

Encore faut-il en vivre, on vous le dit et redit ?

A mon parcours tout tracé, je lui ai donné une allure qui fait peur. Avec mes axes de réflexion, mes amours du travail ultra exigeant, j’ai eu des empêchements, des obstacles, encore aujourd’hui, ma route est barrée. Je démonte ces entraves. Feu rouge, mon embarcation professionnelle continue à s’enrichir mais le feu reste au rouge.

J’ai entrepris un retour inconfortable sur les bancs, d’où j’ai pris en pleine tête le jeunisme et la non-acceptation de la différence, non, je ne suis pas votre double, votre voisine de palier, nous ne venons pas du même endroit, nous ne nous ressemblons pas.

Même dans des endroits reculés, la très grande difficulté qui est la mienne c’est d’être vue comme une professionnelle légitime, comme une femme crédible avec un parcours solide, une persévérance qui a usé toutes les cordes que vous m’avez lancé, non pour m’aider mais pour m’attacher de façon à ce que je ne puisse pas grandir.

Jusqu’où cette traversée ? Jusqu’à quel point ?

La vie m’aura demandée de résister, de militer.

Etre une militante avec peu de rond, ce n’est pas être hors du champ d’application, mais être le champ lui-même, l’amener à se réinterroger, à évoluer pour qu’il ne soit pas privé, dépourvu, injuste et appauvri par les discours dominants.

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Published by: Isabelle Pompe L

Isabelle Pompe L a.k.a IPL est une autrice et photographe française. Porteuse de projets "culture et écologie sociale". Militante et membre fondateur de l'association "Vayres à Soi" pour une écologie sociale en milieu rural!

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