Le portrait comme traduction

Après notre 1er épisode sur le portrait : Portait # 1, nous allons tenter de saisir le traitement que l’on réserve à notre « vouloir-dire ».

Les questions posées pour ce 2ème épisode sont les suivantes:

  • Le portrait est-il réellement un outil de communication? 
  • De valorisation?
  • Quel est son usage?
  • Quelles marges et quelles négociations sont -elles à l’œuvre?
  • Que sommes nous capables de montrer?

Je travaille le portrait comme un jeu de découpes. Ici, avec  » Fictivité du soi et entièreté du mensonge », je me bâillonne car l’image est mon silence et non mille mots.

Le portrait c’est la vue. Une vue écranique: « qui passe par un écran ».

Cette idée de passage traverse toute ma production, passer à travers le temps photographiques, les feintes et les piège que l’on se réserve, que l’on met en place. Passer notre temps à traverser notre stratégie.

Je suis astreinte à un espace circonscrit, au sein duquel mon visage entier ne rentre pas, c’est un jeu de dupes.

Je suis, moi-même, une image « esthétisée ».

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Fictivité du soi et entièreté du mensonge. IPL. 2019

 

  • Comment nous voyons-nous?
  • Que souhaitons nous montrer?
  • Quelle visibilité est/serait acceptable, tolérable, envisageable, négociable?

Mon travail sur le portrait a commencé avec des ajouts, des filtres, appelant ainsi la considération d’une complexité: se voir c’est aussi tenter de s’accepter car c’est accepter de se montrer et donc d’être vu. Une situation parfois étrange car un portrait c’est aussi un instant-T. Il est mutable, s’adresse à quelqu’un et révèle. Il traduit un énoncé à l’obsolescence programmée.

Un énoncé que l’on choisi, que l’on pense assumer consciemment car il se trouve au sein d’un milieu (notre monde) dont nous pensons contrôler les encodages. Là, est la 1ère erreur de l’interprète, nous montrons bien davantage, nous allons bien au-delà.

Le récepteur de cette image, par sa propre lecture, se fera une idée de nous quoi que nous ayons voulu montrer. La pose, le regard que l’on tente d’offrir, le sourire que l’on « essaie » de faire ne sont pas reçus comme des abstractions quel que soit le jeu auquel nous nous livrons.

Nous pensons vouloir montrer une partie, un aspect par crainte de notre « tout ». Le cadrage, le noir et blanc, la couleur, les différents plans viennent nous aider en tant que contributeurs à notre propre falsification.

« Who’s that coming »  c’est la volonté de traiter le portrait comme ombre, comme spectre: une silhouette dans une action. Que fait-elle? Elle attend, regarde, guette, défie et quel rapport avec cette grande porte? A quoi me reconnaît -on?

Les codes tranquillement s’installent avec les jeux de rôles.

Who's that coming
Who’s that coming. Isabelle Pompe L. 2015 Source

 

L’idée qui suit est l’usage. A qui souhaitons nous montrer ce visage, cette pose ?

Nous sommes quelque part tous plus ou moins « corporate », c’est -à-dire que nous prenons pour mesures les limites qui s’imposent à nous soit par le prisme de notre intégration des injonctions sociétales soit par notre propre censure car nous voulons paraître.

Cette idée nous renvoie au processus, ici, avec « In Between days »  je suis dans la peau de celle qui porte un masque.

Le portrait comme un mode opératoire, décrit les actions nécessaires à l’obtention d’un résultat.

In between days
In Between days. Isabelle Pompe L. 2015Source

Puis, j’ai voulu mesurer les niveaux de censure, le verrouillage de mon propre vocable, de ma propre communication. Un jour, j’ai construit l’auto-portrait « Got To Give It Up » et j’ai compris que le traitement  que je réservais à ma propre image était lié à l’évocation de sa violence. Je ne souhaitais faire, visiblement, peu de marge, peu de compromis avec moi-même. Cette photographie, à mon grand étonnement, a rencontré un très fort succès public.

Sommes -nous capable consciemment de nous disrupter?

Trop construit, trop contrôlé également, je le pensais, mais nous parvenons à signaler des évocations intimes qui officient comme des limites au voir et au « non-voir ». 

Got to give it up
Got To Give It Up . Isabelle Pompe L. 2016 Source

L’idée n’étant plus de se valoriser mais de signifier que je suis la somme de ces restes encore visibles. J’ai constaté, dès lors, que je ne pouvais mentir sur mon état de vie, sur cette souffrance et sur cette notion, quasi imputrescible, qu’est la trace. Un portrait devient alors un résultat non négociable.

L’image c’est aussi le constat, l’ état de fait, l’ état des lieux que l’on dresse de soi, avec plus ou moins de « gants ».

La photographie, comme requête, m’a permis de calmer ma conscience.

Le portrait peut apparaître dans toute sa fictivité narrative si nous le prenons comme l’extension de nous-même: celui ou celle que nous voudrions être, celui ou celle vers lequel/laquelle on tend, celui ou celle à qui nous voudrions ressembler. Avec lui, la quête perdue d’avance de la visibilité repose sur un leurre. Le portrait traduit alors un profond désaccord. Il dit notre préjudice. Utiliser un « portrait-mouvement » (appelons-le ainsi) c’est l’aveu de notre propre négation: je voudrais être et non je suis.

 

she shook me cold
She shook me cold. Isabelle Pompe L. 2016 Source

Nous sommes à l’œuvre. J’ai produit des choses qui m’ont échappées, sur lesquelles je n’avais pas la main, elles se sont présentées à moi comme des éléments qui recomposent une scène. Je me suis arrêtée, très troublée par la production de  » She shook me cold » qui, en effet, narre une scène de ma propre vie. Une scène clef, une scène témoin. Comme un voile, une couche que j’aurais enlevé, je me suis sentie vulnérabilisée par l’apparition de cette vraie séquence. Il m’a fallut ensuite passer par le traitement d’autres portraits pour me repenser comme personnage.

 

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Open Mind. IPL 2018 Source

Le cinéma a refait surface comme s’il reprenait ses droits et me permettait de retourner à ce travail sans me heurter. Je me suis laissée tranquille un temps, m’éloignant ainsi de mon propre poste d’observation. J’ai retourné l’objectif vers d’autres cibles pour mieux revenir à moi avec, par exemple, « Open Mind ».

L’écran fut salvateur comme outil de protection, comme instrument de production.

Aujourd’hui je parviens à me proposer une lecture de moi-même « acceptable » : c’est-à-dire sans effet, sans code, sans sourire. J’ai changé, me suis tenue éloignée de mes compositions, de mes maux et ai cessé de me mentir. Voici le portrait que j’utilise pour mon compte FB, mon travail de recherches : j’ai officialisé mon portrait. Il est ma traduction officielle.  Ce portrait me désigne: je suis, à mes yeux, celle qui est à l’origine de mes différentes versions de moi. Celle qui, originellement, a vu.

 

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IPL. 2019

 

Le prochain article sera consacré à la scène fictive comme productrice de sens. Se mettre en scène est-ce une façon d’étayer son propos, de copier/parodier? De redire?  Quelle est la place du mimétisme ? Quels sont les moyens scéniques photographiques dont nous disposons pour faire croire?

Bien à vous,

 

IPL, mars 2019.

7 réflexions sur “Le portrait comme traduction”

  1. toujours surprenant intrigant beau poétique j’aime beaucoup « défense d’entrer » et pour lke coup le dernier portait qui entre dans le cadre en entier est puissant j’aime pouvoir presque sentit les grains de peau (je leur voue un culte !)

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    1. Merci pour ces appréciations. Malgré ses évolutions diverses, mon travail semble être toujours fidèle à la poésie, voilà qui me rassure!

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