Patrimoine de l’humilité

Pour ceux qui ne savent pas, voire toujours pas, je suis résidente d’un endroit du monde où beaucoup de paramètres reposent sur une question de rive. En repensant et à force d’observer, de consulter ce que produisent les autres sources d’images, je me suis dit qu’il me fallait faire le point. La photographie que j’aime parle avec humilité, s’approche des cailloux, des ruines, du « tout bas » pour signifier mon admiration pour l’ordinaire, le vernaculaire. La scénographie du quotidien lorsqu’elle se théâtralise me bouleverse. Souvent elle est tragique sans que l’on daigne le valoriser. Sans présence humaine parfois ou suggérée, je reste plantée devant une séquence qui se fait acte. Ici, une ambiance d’une violence extrême est, pour moi, exprimée. C’est un affront véritable à mon amour des arbres, de la nature car, là, tout n’est que pierre, gravats.

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J’ai, par ailleurs, beaucoup de mal avec les narrations iconographiques du monumental en architecture, du XXL, du « qui dépasse la taille humaine « et nous renvoie au fait d’être tout petit comme un moucheron face au splendide. Le hors-norme, le « parfait » ne me tétanise pas, pire je le vois sans émotion. Les démonstrations de force ne colonisent pas mes pensées. Je n’aime pas être dans un rapport de domination avec un leurre, je lui oppose l’éboulis, le déconstruit, le dénormé.

Je ne suis pas fascinée par la virtuosité, par l’extraordinaire, par le luxe et l’ostentation. Je reste de marbre devant les traitements colorés-horrifiques que je vois défiler comme des produits de grande consommation sur les comptes Instagram des touristes voyageurs. J’aime l’humilité d’une mini scène de vie. Un biotope en bocal qui se prête volontiers au jeu du face à face.

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Centre sportif Les Coquets, Mont St Aignan, un jour de match de Roller Derby, 2019

Je ne comprends, parfois, pas pourquoi les personnes qui suivent mes comptes ou qui aiment ce que je produis, le font, surtout sur Instagram. Lorsque je consulte leur post, leur histoire en images et donc l’extension d’eux-mêmes, leur prose ne me fait ni chaud ni froid, souvent. Elle semble être parodique, dépossédée d’humilité.

La ruine m’a invitée à la chercher jusque dans ses recoins, optant durant plus d’une année pour l’urbex (exploration photographique urbaine dans des lieux disons abandonnés par l’homme), puis, à force de voir encore et encore un effet de mode et donc d’esthétisation s’opérer, j’ai quitté. Je suis repartie vers mes rues moches, mes rues simples, raccommodées et sans charmes apparents.

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Bd de l’ Europe, Rouen rive gauche un 1er mai 2019

J’ai entamé une cartographie de cabines téléphoniques, nommée « Cage à suées » entre 2014 et 2018 parce qu’elles semblaient si belles dans leur no man’s land que je ne pouvais résister à l’idée d’immortaliser nos derniers jours de présence en commun.

Rouen, rive gauche comme rive droite, depuis mon arrivée sur ce sol en 2014, faisait la part belle à la scénographie de ces splendeurs, les autres communes environnantes, le département de l’Eure, la Vendée, L’Ile de France…Un beau voyage!

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Puis, avec la photo de rue, la photo sociale, je continue et organise des rallyes. Avec mon projet en cours, Site Specific, je suis en train de mettre en œuvre un programme d’actions pour valoriser la rive gauche rouennaise- Sa partie de ville scindée par la Seine comme sa banlieue. Toujours interpellée par un constat sans égal, la rive gauche est absente des images de la ville de Rouen telles qu’elles sont proposées par son office du tourisme, « Enjoy Rouen Normandie »….Ce qui me mine c’est que depuis que la ville transfert ses compétences à la Métropole Rouen Normandie, je mesure que ce qui intéresse cette dernière ce ne sont pas les habitants, l’existant et les ressources locales mais les capitaux extérieurs et les touristes….

La ville s’arrête souvent à ses ponts, de jour comme de nuit et se tient sur un pré carré qui avoisinent les trois rues. Alors, j’ai décidé d’entreprendre, une constitution d’images, comme une base de données iconographique, de la rive gauche, construire un puisard pour valoriser celle que l’on ne voit pas voire jamais. Celle qui questionne le patrimoine, la mémoire, l’humilité comme valeur et qui ne veut pas s’opposer pour exister.

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Petit-Quevilly et ses maisons qui sont, aujourd’hui, détruites, 2018

Celle qui fait mal car n’est que trop peu située. Ce territoire galvanise quiconque qui s’ennuie car il n’y a que là que j’ai croisé en une journée une Renault 6 qui tutoyait un canapé , là où des architectures font figures de restes, là où les taudis ou autres habitats défectueux pour reprendre les propose d’Henri Salesse se tiennent à carreau les uns à côté des autres. Des communes aux vies microscopiques qui offrent des visions quasi surréalistes. Un territoire aux sensations fortes où le retro-futurisme côtoie le vintage oldschool, et où les yougtimers -véhicules des années 70, 80 et années 90 soit la nouvelle voiture de collection- fraîchement tunée (en référence au tuning) siègent sur des parkings anoblis par la mécanique sauvage. La rive gauche c’est la forêt,  l’indomestiqué, le sauvage.

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Sotteville, un soir de vivA cité 2018

Cette rive penche, elle parsème ses diversités, ses bruits, ses émotions en toute tranquillité. Elle est cet endroit stigmatisé qui pour autant s’est construit par sédimentation historique et sociale sans grand changement pour certains quartiers voire communes. Sotteville-lès-Rouen ne sera jamais Petit-Quevilly et le jardin des plantes ne rivalise pas avec l’environnement naturel de Petit-Couronne et Grand-Couronne. La place au sauvage est plus grande, la nature n’est pas soumise aux mêmes lois. La rive gauche, alors que j’arrivais en 2014 avait des quais de Seine qui ressemblaient à Mad Max, au regard de l’ambiance.

Comment valoriser telle est encore la grande question, comment parvenir à sensibiliser et à pacifier les rapports qu’entretiennent ces deux côtés de la Seine…L’histoire est longue, comment éviter la disparition… Rester témoin et photographier pour préserver.

La photographie serait cette réserve naturelle où pourrait s’épanouir cette rive, s’émanciper de cette hiérarchie locale.

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Petit-Quevilly tire sa langue drapeau un jour de coupe du monde de Football 2018

Site Specific est aussi sur Instragram depuis quelques jours: @photographyspecific

A suivre,

IPL, le 2 mai 2019.

2 réflexions sur “Patrimoine de l’humilité”

  1. Vous savez trouver dans le quotidien le petit plus que l’on ne prend le temps de voir et de comprendre. Trouver du charme et de la beauté dans les lieux où l’on vit. La vie est partout. A bientôt.

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