▲ La dernière envie d’écrire un prélude à la guerre…Les airs définitifs de cette année, ce passé qui traine ses jours, encore et encore, se font contextes de bataille. Puis sonne le sujet, c’est bien du dos de notre vie dont il est question, depuis ce qu’il porte jusqu’à ce qui le leste, de ce que l’on cache à ce que l’on oublie.
Ces précédents, ces bouts sèment la confusion, écrire pour remettre de l’ordre cependant le temps n’est pas linéaire, le passé ne suit pas à la trace le présent qui lui-même ne se place…
Une lettre d’amour apparait désormais comme la seule rédaction possible: défaire ce qui a été fait, ne pas donner le dernier mot aux imprononcés, redonner un nom… Ces jadis relèvent de contingents oubliés.
Alors, pendant qu’il en est encore temps, ces mots ne seront ni doux ni amers.
Nous savons qu’ils trimballent, avec eux, des éléments précieux dont on ne sait, souvent, que faire. Ils forment, uniquement nous l’espérons, ce chahut qui nous décale.
Une lettre adressée à un, une voire plusieurs passagers de nos histoires personnelles telle serait la mission.
Auprès de ces vies à peine touchées, effleurées auprès desquelles nous ne souhaitons plus avoir d’incident, se dessineront des phrases.
Un voyage final au cœur des espaces, où, le plus souvent, nous étions gaspilleur, penseur court-termiste et non fin stratège…
★ Commencement
Tentons d’être, au moins, « honnête », mesurons, avec justesse, nos choix inexistants, nous parlerons, ensuite, d’incommunicabilité, éventuellement de prix à payer.
Ces jours sont ce final d’une année, intensément, introspective. Cela s’ébauche de telle manière.
Là, nous sommes dans un état proche de l’aveu, c’est, en quelques sorte, la fin de l’intrigue.
Durant ce millésime, pas de chichi, d’enfantillage, nous avons traversé des espaces temps qui nous ont, tout droit, amené face à l’horreur d’un passé clarifié et insoupçonné.
Nous nous sommes retrouvés ancrés au sein d’une temporalité meurtrière. Nos recherches ont conjugué nos responsabilités, nos rôles se sont justifiés, nous sommes, ici, pour d’autres.
Pour l’amour avorté de ceux qui ont été sacrifiés, nous portons en nous ce mandat.
• Réhabiliter nos morts, apaiser leurs colères, leurs frayeurs, leur permettre dignité et décence.
Avec cette série d’actions, les autres vies réapparaissent, de celles avec lesquelles nous nous sommes cognés à celle-là.
Voici une des raisons de cette lettre d’amour. Le cours de l’histoire a commis un rétablissement quasi impossible.
Il a fait disparaitre les traces, les traditions orales, les éléments distinctifs, je suis vivante mais ne parviens pas à faire continuum avec les miens.
Mon propre fil peine à (re)trouver ce chemin.
La révolte pourrait gronder en revanche la colère n’a rien à faire ici.
Les ruptures, les dommages collatéraux, les déplacements et la substitution ont marqué les situations de leur sceau.
Si nous devions nous demander ce qui nous illustre, ce pourquoi nous pourrions être des exemples, ou tout « simplement », ce que nous léguons aux autres, nous pourrions infléchir nos individualismes, quitter nos ambitions personnelles et nous interroger sur ce qui nous reste de commun, en commun.
Quel meilleur nous souhaitons-nous ? Et si nous avions le choix de nos derniers actes, changerions-nous quelque chose ?
★ Mise en perspective
Depuis plusieurs années, plus d’une décennie, je suis à l’oeuvre. Sans le rechercher, j’ai été désignée au sujet de mon canevas familial.
Ma vie et ce travail de mémoire sont liés, de façon inextricable, d’eux je dépends et inversement.
Leurs noms, places, spécificités, soit, tout un ensemble qui puise ses sources de vie en moi et dont je suis dépendante.
Ils m’habilitent dans mes recherches et pérennisent l’autonomie de nos ressources.
Nous avons beaucoup perdu, des membres de trois générations, porteuses de ce nom dit « nouveau », se sont éteintes.
Ici, tout est au pluriel car il s’avère que deux familles se succèdent, se doublent.
Une s’avance puis se trouve dans l’obligation de disparaitre, (question de survie) puis arrive l’autre sans lien apparent, un fait exprès, vierge, « neuve » du moins pour nous, sortie de nulle part.
Un nom pourrait être un habit, cruel, injuste, que nous sommes dans l’obligation de porter et donc d’avoir toujours sur nous.
Mon premier est origine, mon second, un calque partiel. Ce fut à nous, ceux qui ont succédé, de parfaire l’apparence, d’achever le filtre.
Je suis une branche qui parasite un arbre, vivante grâce à une sève qui n’est pas mienne.
• Ce portrait c’est l’idée d’ un bris de glace, d’ une effraction.
Cette fracture me suit depuis toujours ou presque, cassure d’os, brisure de vies, je suis fruit de ces éclatements.
Placée dans cette imposture, contre mon grès, j’ai composé de multiples personnages, tel que cela était demandé, que dis-je, exigé.
Je n’ai pas, pour autant, fait semblant.
Je ne vous ai pas menti, je n’étais pas cette netteté ou alors, une, provisoire.
Malgré ma suspicion, j’ai omis de vous dire ce sur quoi je n’avais pas de certitude, je ne vous ai pas confié mes doutes.
Les paramètres à prendre en considération se fondent sur la perception. Mes censures se sont exercées ainsi: les sans dangers, d’une part, ceux qui n’y verront que du feu et, devant lesquels, j’ai placé un écran de fumée.
Les autres, voyants, plus à même de me percer, de lire, avant moi, ont été tenu à distance, par sécurité.
Je ne saurai être une « assimilée à » c’est-à-dire soit l’on accepte l’idée d’une composition exigeante, florifère soit l’on s’accommode du fait que je sois une irrévélée.
La révélation, le vrai, le jour, la mise au point…
Le « vrai », par essence me terrifie. Il est identifié à une menace, me tétanise. A l’instar de la peur du bruit qui plonge dans le silence, je sais que je proviens de là, de l’enfer de l’immobilisme.
Interdits nous avons été d’être nous-mêmes puis traumatisés par nos vérités.
Humaine, émotive et sensible, dans le secret, j’ai aimé d‘un amour sans commune mesure des êtres sans parvenir à le leur révéler. En retrait, à peine au bord, la peur au ventre, je me suis tue.
• L‘amour était une clarté semblable au péril.
L‘angoisse viscérale de me perdre de vue a régi mes mouvements.
C‘est après de très nombreux jours et nuits, que la connexion virale, avec cette partie déchirée de moi, s’est arrêtée.
Le moment était venu. Je devins consciente d’une obsolescence proche, je n’étais plus en discorde avec moi-même.
J’ai cessé d’être tiraillée par ce dilemme: la crainte de m’évider, sans parvenir à m’en sortir, et l’obligation vitale, quitte à tout perdre, de me réunir pour survivre.

De ce qu’il me reste de mes débuts, une tache noire, avec euphémisme, pas grand chose.
De ce qu’il convient d’installer du « bon » côté de la balance, des instants de saisissements victorieux et monstrueux, par chance, ma vie tragique sonne juste avec celles des miens.
Une reconnaissance instantanée s’est faite en rejoignant ce bord.
J‘ai su.
Ces sections affectives sont ces gains, les nôtres. Avec ces récentes confirmations, j’ai voulu reprendre là où quelques maux s’étaient répandus. Remonter le temps, encore un peu, juste avant.
Changement de siècle.
∞ Je me souviens de toi. Dans de curieuse disposition, je me suis sentie, dans l’envie de t’écrire, de t’offrir, de te dire à quel point tu avais pacifié quelque chose en moi, accepté mes différences, sans jugement.
Te voir, à la lumière du jour, quitter ces lieux de parade, de façade, pour te livrer ce pur témoignage, tel était mon souhait le plus cher. Tu as semblé embarrassé.
Après maints reproches et atermoiements, nous ne sommes pas tombés d’accord.
L’éloignement, frère de la tranquillité, est apparu comme le meilleur moyen de ne pas créer de nouveau malaise. Ma fierté, bousculée, n’ a guère aimé gérer cette situation, le désamour ne s’est, pour autant, pas amorcé.
Un des plus dangereux, tu étais celui dont je redoutais, le plus, les manifestations.
Encore aujourd’hui, j’aimerais te dire à quel point tu es aimable et, encore, combien tu m’as manqué.
Pacifier cette partie de ma vie est indispensable. Je te sais redoutable, mes pas sont timides.
Au creux de ce passé commun, je ne pouvais me douter du ressenti de ton exclusion.
J‘étais féroce, sous le joug d’une sentence provocatrice puis annulatrice qu’il m’a fallu chasser de toutes mes forces pour ne pas la laisser, de manière irréversible, m’atteindre.
J’ai quitté ces lieux mitoyens en rompant avec tout ce qui pouvait me tenir en vie, en image et en son.
Ce fut une rupture catégorique, rédhibitoire et vitale.
Blessée jusque dans ma chair, mon corps, cœur et esprit ont laissé couler les temps pour qu’il endorment ces heurts mortifères.
Cette époque fut révoquée de mon passé, pendant plus de dix ans, je t’ai excommunié de mes mondes, tu étais cette morsure, qui, à cette période, aurait pu être létale.
Je t’ai pardonné, affairée à retrouver, le plus vite possible, mes rives, pour reprendre, enfin, mon souffle.
A l’instar de ce prologue hypnotique qui se déploie comme un décompte, j’ai parcouru en profondeur ces « trajets » en écoutant la voix des miens. (Film Europa – Max von Sydow)
★ Après avoir été mordue
Aimer dans ces endroits peu paisibles où s’enorgueillit la pénombre revient à broyer ses maitrises. Se défendre pour ne plus se soumettre au contrôle déchire nos masques, lacère nos orgueils.
Comment parler de paix, et pourquoi associer cela à l’amour ?
Une lettre d’amour est par nature pamphlétaire.
L‘amour ce n’est ni beau, ni paisible, ni raisonnable ni sage.
Hors de portée ?
A tort, il plante ses crocs dans les peaux les plus tendres, tourmente jusqu’au malaise, dissout tout empiétement, se fait liquidateur.
Il observe, se moque des leurres, saccage les choix « braderie », les vies sécuritaires.
L‘amour m’a mordu, a agi sur moi, à la fois, comme un destructeur de chimères et un éclaireur de rêves.
J‘ai, grâce à ses pleins pouvoirs, pu me critiquer, me dépasser et parvenir à me dissoudre pour faire « unes » sans me désintégrer.
L‘amour est un pouvoir qui se désolidarise de la séduction.
Coucher sa vie sous le regard de l’autre fait de nous des esclaves, ce n’est pas, ainsi, qu’il nous souhaite.
Dans ce contemporain péril, il apparait, parfois, impératif de se trouver hors champ, hors jeu, hors compétition.
• Je ressens l’expression des défauts d’attention dont tu souffres. Ces rixes, avec toi-même, te coûtent cher.
J‘assiste à tes changements et te protège, à distance.
Dans mes voyages mémoriels, une matérialité « amour » a repris sang et couleur.
Seule, à ce que je croyais, j’ai aimé, densifiée de tous les miens, je poursuis cette offensive en souhaitant encore et encore le meilleur, le mien, le leur, le tien.
J‘aimerais tant parvenir à t’inviter à être, avec moi, en confiance, en sécurité. Partager.
De ton côté, dénoue, défait à ton tour, regarde, avec le recul nécessaire, ces scènes et séquences, observe, avec indulgence et compréhension, mes attitudes. Pardonne.
N‘aie crainte, les navigations vers le passé ne sont pas sans retour.
L‘amour repose sur une pluralité de formes et d’expressions qui migrent, transportent et libèrent, avec le temps, une émulation dont, toi et moi, avons un réel besoin.
▼ Reçois cette lettre, avec toute ma bienveillance, comme une invitation à la douceur d’une variation.
Isabelle Pompe Lehrfeld, 22 décembre 2020.
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