Ce samedi de signature officielle démarra en fatigue, une semaine de cartons plus tôt, tout avait pour verbe emballer, laisser, gagner de la place sans perdre trop de temps ni de terrain.
Un été, sur le point de mourir, ouvrait son bal à septembre. Je ne connais pas un mois aussi redouté que celui-ci, il me répète ses jours et leur tic tac infernal jusqu’au crescendo du 8.
8 septembre 1993, nous n’irons pas.
Les jours qu ‘il emmène dans sa roue consacrent cette période phare et dramatique qui m’a éjectée de l’enfance. Avec ce handicap monstrueux de la perte, expérience de l’impuissance non sans dommages, j’aie dû marcher dans l’empreinte de ses jours.
Il sera question d’arrêt entre des dates, années et lieux.
Un lieu quitté, dans tous les sens du terme, un espace que nous espérons échu, avec lui, un mouvement et des villes. Les modes de déplacement navigueront d’une gare à une autre, d’une station de métro, en passant par des souvenirs de villes pour échouer, à Rouen, au Monumental.

Telle une figure symbolique, cette semaine (8 au 13/09) est celle qui réanime le corps, reteinte la vie et réinscrit l’urgence. Cette année, sur même « adresse » temporelle, allaient se produire plusieurs évènements corrélés avec pertes et fracas connexes.
Tout d’abord, il sera question de maison, de trajet, de routes, de kilomètres à parcourir, plus de 500.
Une balade ? Un déménagement.
Des affaires occupent un coffre rempli à ras bord, une navigation, sans difficulté, une météo clémente d’un beau samedi 11 septembre. Nous avançons, perçons le périple de nos remarques et rires.

Le Mans, puis, une petite pause, de quoi se mouvoir, se rafraichir, il fait très bon. Nous reprenons ces campagnes, bordées de villages fortement touchés par la Covid, des vitrines sont mortes closes, portes condamnées, la déshérence a infecté, telle une maladie, le coeur de ces communes, le soleil, la route, la campagne…
Le spectacle nous avait déjà frappé, en juillet, alors que nous descendions, la 1ère fois, visiter cette maison de Haute-Vienne.
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Je remarque sur la droite, un véhicule blanc, puis je considère l’en face.
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L’instant qui suit est vitesse, fracas, grand mouvement, embardée, fossé, poussé notre véhicule poursuit sa trajectoire couché sur le côté droit, percutée à la portière, la douleur est intense, l’impression très nette d’étouffer, je tourne la tête et parviens à m’extraire, comprimée au niveau de la cage thoracique, je peine à reprendre mon souffle, la conductrice semble touchée, en difficulté, perd en concentration, tout bascule, le temps arrête net notre départ.
Tout voyage est désormais annulé, un barrage temporel, perdu sur une route au très dangereux croisement, retient l’intégralité de nos attentions.
Des êtres se pressent, la chaleur s’appuie sur nos visages effrayés. Il est 16H30.
Je répète aux pompiers, à la gendarmerie, trente fois, mon nom, épèle et comprend que la situation dite normale se veut suspendue jusqu’à nouvel ordre.
La voiture est morte, la conductrice, manifestement blessée, est emmenée avec dispositifs, j’entends mal, suis embarquée à mon tour à bord d’un véhicule des pompiers, minerve, allongée. Des vomissements, au nombre de trois, en ce beau jour de septembre viendront couronner cette rupture brutale.
Nous sommes à Vendôme, au service des urgences, la prise en charge prendra fin à 21h30.
Il est de ces jours où la peur est telle que le cerveau se concentre sur ce qui doit être fait.
Contrôle gardé, je ne m’arrête pas pour revoir le film. Les images me reviendront beaucoup plus tard, seul ce bruit et la sensation d’avoir été heurtée sont ces coups invisibles qui martèlent ma tête.
Les déplacements douloureux accréditent la disparition de certains gestes, il me sera impossible de m’allonger, de tirer à moi quoi que ce soit, de soulever, de respirer profondément, la nausée, encore et encore.
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Deux films vont faire leur apparition, au bout de quelques jours, pas avant, trop occupée à passer des pans entiers de journée au téléphone afin de mettre en place le rapatriement.
Des heures en taxi, un trajet sous un soleil entier, sous médicament, et sous alimentée, où il me sera difficile de voir. Une fois arrimée à Rochechouart (87), les souvenirs de cette commune viennent m’apporter répit et réconfort, l’hôtel, encore un, nous sommes dimanche soir.
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Je revois les images du film de Sautet, Les choses de la vie, que j’ai d’ailleurs visionné, non sans tristesse, en juillet dernier, puis me remémore Accident de Joseph Losey.
//Leur commun ? Au delà de la mort par accident de voiture, une audace et une inventivité, une beauté de plans et des acteurs fabuleux, Dirk Bogarde et Piccoli.
Je sonde mes instants immédiats, sursaute en me regardant penser, et me dis: si je n’étais pas sortie indemne de cet accident, beaucoup de choses se seraient « mal » passées, des moments réprouvés, pour des raisons très simples: des êtres n’auraient pas été prévenus, mes mondes sont (trop) scindés, je suis secrète et me tiens éloignée.
Les émotions sont vives, et j’appelle, essaie de dire, bref, donne des signes étouffés de vie. La suite est ouate dans les oreilles, nuage dans les yeux, on ne se sait plus trop qui va là.
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Un mois, et plus, passe, toujours épuisée, je dois rentrer en Normandie pour des formalités. Un voyage aux arrêts étranges va se présenter à moi.
Tout commence avec un bus, transport scolaire, il est 7h. Une gare, une demi-heure plus tard me donnera à attendre, en son sein vestibule non chauffé, 1h30 d’un jour sans fin.

Un train, deux wagons pour trajet poétique et sombre le long de la Vienne, traverse ma matinée. Puis Limoges et ses entrailles vitraux, monter, descendre, je pense, toujours à Tati et son humour pour cette scène de gare où les voyageurs ne cessent de caler leurs déplacements sur ce qu’ils croient comprendre comme informations (inaudibles) de la SNCF.
» Tati…Un mouvement contrariant, souvent sonore, prend le pas sur la monotonie d’un écoulement uniforme. »L’humour de Tati
Paris fait entendre ses pas, au bout de trois heures, endormie, masquée jusqu’au bout, je sors d’Austerlitz valisée et abrutie. Le temps est idéal, je rejoins le Jardin des Plantes afin de réveiller mes esprits, redire à mon corps qu’il n’est point grave d’être délogé, à Paris, en cet instant.
Les mots d’un serveur qui avait, par le passé, connu les grandes heures de la gare d’Austerlitz, remontent à la surface, la lumière sur son visage lorsqu’il évoquait le monde des trains de nuit! A tomber.
Toutefois, plus tard la nostalgie 2012, il me reste à reprendre, le métro en direction de St Lazare, Normandie oblige…L’envie mutique de revenir là-bas joue avec mes nerfs.
Métro, odeurs, les quais et intérieurs jours sont identiques depuis 20 ans ? Le temps a refait surface à sa manière, ce ne sont plus les jours, octobre 2021 qui comptent mais les souvenirs qui font pencher la balance. Où suis-je mais surtout quand ?
Où vais-je et qui suis-je ?

Ces franchissements de territoires spatiaux possèdent une peau temporelle. Tous, ou presque. Le trajet, en raison du contexte, Limoges /Paris passe pour celui de Vichy- Paris (gare de Lyon) survenu en 1996. Saint-Junien et sa splendeur Vienne sont les deux seules inconnues du récit. Austerlitz, gare vierge de mes billets SNCF et point de repère emblématique pour une vie studieuse parisienne antérieure, ressemble à un pivot. Autour d’elle, tout tourne, revoilà, la scène d’ouverture de Rendez-Vous de Téchiné.
St Lazare, le film Paris de Depardon.
St Lazare, un million de fois, ses trains de mer, de banlieue, Le Havre, Rouen, Bernay, Évreux…J’ai fait la connaissance de cette gare en 1997, alors que nous étions, sans doute, peu nombreux à lui accorder de l’allure avec sa noirceur et sa saleté d’un autre temps.
Aujourd’hui, elle, seule, me reconnecte à cette « 2021 voyage », ses airs de centre commercial, sa laideur de couleurs, ses stries escalators, ses circulations dans les espaces contraints, bref, une gare monstrueuse devenue beuglement sans logique. Nous sommes bien à quai.
Un train plus tard n’en cache pas, nécessairement, un autre, en bas, il est à étage, je me trouve. A côté, une lectrice, comme déjà le billet précédent. Je sors mon numéro flambant neuf de Métal Hurlant (éditions les Humanoïdes Associés), le retour, la révolte en prime ? Le circuit court direct Paris Rouen nous le dira.
Une déception plus tard, malgré quelques belles trouvailles sans brin de folie cependant. Ne pas regretter un achat, ne pas réintroduire de regret, le décalage du monde a, déjà, opéré sa mue.

Rouen, gare, Teor ligne 4, je m’effondre, il sonne là d’où je viens, sûrement, 18h.
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Le cimetière du Monumental à Rouen fait partie des méconnus, des lieux indigènes de ma mémoire. Alors, Duchamp Marcel, Rouen et ses hauteurs, un esprit Père Lachaise, retour, en catimini à Paris au coeur d’un cimetière que je connaissais par coeur, depuis la tombe de Desproges (tout près de celle de Chopin) à celle de Bashung, Balzac, Delacroix…. Mais surtout Géricault, le peintre des chevaux, Le radeau, naufrage de la France, au Louvre, Géricault né à Rouen et meurt à Paris, ses études et autres œuvres exposées au Musée des Beaux-Arts de Rouen, une boucle, vortex non-stop…
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Des jours et nuits, plus loin, encore, enfoncer les clous dans ce temps, novembre viendra cambrer ses airs, traverser les murailles, transpercer les mailles et le fil de nos heures.
Bien à vous, vivant.e.s, 31 octobre 2021.
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