Des temps passent, la confirmation poursuit ses digressions et m’amène à ce que j’ai mis en chantier depuis plus de 20 ans: la systématisation du refus de la norme. De celle du couple, de la famille, à celle de l’attendu sociétal, de l’étiquette en passant par le contrôle extérieur.
Cette norme c’est ce regard qui nous place par rapport à quelque chose et qui induit une correspondance. Je privilégie un « no matching ».
Mon construit m’a valu les plus violentes critiques, les rejets les plus virulents, m’accusant de me gaspiller, de faire en sorte de noircir mon propre tableau de vie. Pure folie que cette volonté d’acier à refuser, je sais que j’en ai découragé plus d’un.e. Observer, prendre le temps et expérimenter ce terrain, le connaître et le vivre sont mes seules préoccupations. A partir et, avec lui, je suis devenue protéiforme, il est le pluriel de mes formes actuelles.
Mon construit se passe, pour autant, de contrôle extérieur et d’une quelconque correspondance. Mes observations et recherches galvanisent mon ombre. Le local est cette lumière dissidente qui, paradoxalement, dessine les cartes d’ entres-soi, des résistances au changement et de ceux qui cèdent aux sirènes électives. C’est à cet endroit que l’on peut mesurer, avec une infinie justesse, les guerres politiciennes, les réajustements d’ego. Les projets deviennent des instruments de pouvoir. Le terrain préfigure leur envergure.
Le terrain Versus le spectacle
Ni facile, ni séduisant, la rigueur du terrain explose toute les marques triomphales du grandiose. Son humilité nous contraint. Le satisfecit ne lui fait ni chaud ni froid. Il impose un refus entier d’une quête de l’admirable. Il est l’épreuve, la somme des épreuves qui nous tordent, nous forcent à combattre les tours et détours des visibles.
Faire le choix du terrain c’est faire le choix de l’intranquille, il est cet incalme.
Le spectacle sécurise, c’est l’invitation non pas au jeu mais au public, être vu, avoir un public, des publics, leur servir une image unifiée, indéboulonnable. C’est le luxe de l’image, la garantie. Le terrain c’est l’union de toutes les faiblesses, où les duretés sont reines, où l’incommodité donne naissance à la notion d’urgence.
Face à la vacuité du spectacle, j’ai parfois cru que je ne parviendrai pas à avancer. Comment faire sans spectacle ? Faute de compromis, j’ai volontairement vécu certains exodes, c’est en cela, en effet, que je me suis définie, récemment, comme étant un territoire non négociable.

Dure, parfois perçue comme froide ou encore comme trop engagée. Intransigeante, il est vrai, je suis. Je prends la mesure de mon caractère affirmé avec le reflux des performances d’acteurs du passé.
Ces visages percent mon quotidien, leur envie d’être respectés, adoubés accroît ma vigilance. La méritocratie, les titres homologués qui claquent, les honneurs, les CV, la visibilité encore et toujours, puis, viennent les commentaires pour alimenter tout ce gras. Je ne veux pas savoir d’où leur vient cette envie d’être connu plus que reconnu. Je les sais saisis par la compétition.
Les dégâts du pouvoir sont là, palpables, à œuvrer pour la division, le conflit et l’exclusion. L’humilité, l’échelle humaine sont sacrifiées par des images déguisées. Les visées sont claires et navrantes, il s’agit de supplanter, de dominer.

Quittons ces jugements de valeur, ces postures, ces regards
Le processus interrompu de l’émancipation
Tout part de soi, tout commence avec ce degré d’interrogation et de ré-interrogation, se digérer, se ré-ingurgiter… Des actions qui nécessitent un constant mouvement, un refus de l’acquis, une détermination.Par mouvement, j’envisage l’accident, la secousse. La mobilité ne prend pas, l’atterrissage plus que l’arrivée. Le terrain ce n’est pas un territoire mais une multitude, une succession, non éludée, d’espaces différenciés.
Depuis l’ immatriculation des rues aux distinctions de logements, le terrain serait maître dans l’éclatement des zones.
Par ajustement, les barrières et les contraintes m’ont placées dans des embarras certains. Par effet de miroir, je refusais de me retrouver enfermée dans le mutisme de l’objet de curiosité. Le spectacle m’a conviée, m’a offert ses offres alléchantes, j’ai attendu, de moi, le renvoi de ces propositions. Je me suis imposée des refus d’aménagements de vie, me suis tendue des pièges pour mieux tester ma résistance, expérimenter les misères. S’identifier au terrain revient à se neutraliser en tant qu’individu, à accepter le partage de l’impuissance.
Le terrain a une gueule tandis que le spectacle n’en a pas
De l’ échelle sociale au nivellement vers le bas, j’ai évolué sur le terrain miné de l’existence d’une employé, d’une précaire. Afin de stabiliser ma vie avec un logement fixe, j’ai brassé des airs puants, des airs pollués par le racisme, le sexisme où tous convolaient vers cette volonté de plaire. Aujourd’hui, je sais, mes réponses et attitudes de l’époque l’exprimaient déjà, je ne voulais pas rejoindre ces troupes-là. Mon profond désaccord m’a valu d’être taxée de déloyale. Rien ne pouvait davantage m’encourager.
Une ligne de mire
J’ai rejeté les images faiblardes, les réalisations de couple, les projections, assortiments et accords. C’est seule, que je me porte responsable de mes choix. La radicalité de la précarité m’apporte le soutien, désormais, je connais l’inconfort pluriel.
Mon engagement se passe allègrement d’un aval hormis du mien. Je veille à contrer la hiérarchie, l’ascendance, je ne minore pas mes bagarres par refus catégorique de l’amélioration sociale redevable. Je ne fais pas pour, je fais.
Je ne suis pas spectatrice. Recevoir des compliments limite et fait évoluer sous le regard contraint de la satisfaction sociale.
Je souhaite un mieux commun, un meilleur collectif contributif. A l’échelle extra-locale, je perçois, ici et là, une perfidie, les coups bas sont présents, les attentions se tournent et les énergies se gaspillent. Les armes ne sont pas les mêmes, quoi que. Je sais que l’autre attend son heure, que de cette équipe se dégage des revanches, des règlements de compte. Ils surfent sur cette vague qui est, en fait, la nôtre. S’approprier une émergence n’a rien d’estimable ni de courageux.
Évoluer sous le regard social m’indispose, je préfère me dé-normer. J’entends la classification, le titre, le terrain leur retire le crédit. Ces accréditations n’ont, en effet, pas cours, ici.
IPL, 1er novembre 2019.
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