Période de vœux, pieux ? Les premiers jours, à l’instar des premiers émois, se désolent, sans consoler, de n’avoir que de grands mots dans leur bouche. Parce qu’il ne tient qu’à eux de sortir leur pouvoir, ils invoquent. Libre à nous de discerner le conseil, la projection, d’y entrapercevoir le rêve et l’illusion.
Qui serait, suffisamment habile, pour me souhaiter une année « ô rage, ô désespoir » ? Par la même entrée, par quelle bouche cousue s’arracheraient les adjectifs tous genrés pour le féminin « année »: belle, joyeuse et bonne ? Serait-on en mesure de me parler d’une année « réussie » ?
C’est à partir de cette notion, pas nette, de réussite, que j’ai opté pour le diffus, le doute, les variations afin d’objecter à ma conscience intranquille toute happycratie, hypocrisie. Je peux avantager mes heures en les sommant d’être meilleures tout en sachant qu’elles furent merdiques. Je peux évoluer dans la malhonnêteté, vif-argent, jouer la comédie, j’éviterai, en revanche, de composer des rôles d’assiégées.
Depuis ce patriarcat sociétal lourdingue, sans égalité, j’ai misé sur le flottement, la non religion. Après avoir dénoué le a-privatif, chassé le neutre, c’est l’obscurité, âtre de la noirceur, fille de mélancolie, perplexité, fratrie du clair-obscur qui allait défrayer mes chroniques.
Avec conformité, le brouillard allait m’évanouir noire vivante

Mes âges d’or possédaient toutefois quelques inconvénients, lorsqu’on m’ordonnait de plaire, le dégoût de l’autre était à son comble. La provocation pour coup de tête, la bagarre ordinaire contre les normes pour fonction première, mon genre ne peut se tenir tranquille.
Pas de prospérité, par ici, pas de gloire ni de fortune sociale, par là, une vernaculaire qui bastonne les cases, une lambda en guerre contre certains biotopes.
Pas d’enfermement requis sans refus catégorique des listes, je ne suis ni épouse, ni mère, ni puissante, ni réussie.
Alors, la joie, le bonheur… Mes humeurs étripent, dézinguent, toute émotion est à son comble. Depuis la profonde tristesse, port de pêche dramatique, jusqu’aux secousses du plaisir, je ne m’épargne pas une blessure.
Laissant cet air libre et sanctionné s’échapper, ces espaces dubitatifs m’engloutir, je suis nuageuse.
Mes plongeons sont légion, incomprise pour avoir trop aimé m’émécher, aimée de travers pour n’avoir pu créer de l’effet, je vieillis, vaporeuse, incertaine.

Incasable ? J’ai entendu le reproche de l’instabilité. De la sanction de la passion à la gifle de l’hystérique, j’accuse, encore aujourd’hui, réception. Droite dans mes bask, pas d’à l’envers qui tienne, hors de tous cercles vicieux et fermés, décousue, je flotte.
Mes photographies embrassent le flou. Montés les uns sur les autres, tels des mondes déraisonnables qui s’escamotent, mes portraits reprennent des jeux de piste où le perdu d’avance se fait Ut majeur.
L’être paumé, vulnérabilisé, par toutes ces mâchoires, devrait se sentir comblé par son anonymat. Être invisibilisé n’a rien d’exceptionnel, doit-on pour autant s’habituer aux vexations, à la non reconnaissance de nos souffrances ?
Ma contestation commence là où mes yeux se posent, là où mes mains se fixent, j’allonge mes pas et mes détours mettent en échec des systèmes. A commencer par les miens, je prends au mot, le préjudice, au pied de la lettre, l’affront si bien que mes fiasco furent éclat, tous mes revers, exaltation de mon impuissance.

Facile d’humilier, de calomnier, de penser à la place de l’autre, c’est à croire, une monnaie courante. La chasse aux sorcières, en proie aux difficultés sociales et économiques, a-t-elle, déjà commencé ?
Au milieu de cette montagne de reliefs, qui perçoit mes troubles ?
Rien de confus pourrait-on arguer là-dedans ? La chute libre cause des dégâts naturels, cependant j’accorderai toujours à mes avaries, un certain prestige.
Ne pas parvenir, mot difficile, visiblement à prononcer -crainte du saignement des commissures ? – à formuler « pardon » ne fera pas non plus de vous des agents de propreté.
Ceux qui se soucient si peu de l’autre vont-ils se taire en ces états de vœux ?
Ils se font solennels, scandent en tendant ces pièges en eaux saumâtres, ils citent, non sans rythme, de manière quasi incantatoire, tout d’abord, ce qu’ils se souhaitent.
Les vœux tiennent davantage en cet exercice du monologue. Notre interlocuteur c’est nous-même. On se parle à soi, on se parle bien, à ce moment précis.
On prend garde à nous-même en nous défiant d’être capable de penser en grand. Puis, le mètre phase la morphologie de notre ego.
Les vœux seraient cette sur-dimension, cette sur-estimation de nous-même. La course aux adjectifs qui ne se suffisent pas à eux -mêmes.
Chiens de garde, cerbères, ils sont les gardiens de nos espaces de représentations.
La délimitations de nos tours. Ils annoncent notre couleur, donnent le La. Nous les avons, sciemment choisi, pour planter notre pieu décor mais la transgression s’opère.
Ils ne nous ressemblent pas.

Les vœux, une aberration qui tourne au conflit. Parfois, même, en ces salles obscurs, le « je » a vendu sa peau, infoutu de survivre à pareil tour de force…
Le Nous, la ligue, l’union, la fédération des nous, face à l’inepte « je » et ses balbutiements de début d’année qui, de toutes façons, ne tiendront pas la route.
Le nous, c’est le pouvoir, l’incarnation de la force, qui vient éluder tout « je » disponible. Le nous n’est pas la somme des je mais bien leur soustraction.
A ce jeu de société, Je est, naturellement, perdu.
Pourtant, « je » existe bel et bien, à la différence d’un « on », et de ce nous qui veut mettre à la porte le vous.
Nous vous adressons, souhaitons, tels sont les débuts de formulations, le je est donc relaxé, et ce sont bien deux blocs distincts et indivisibles qui s’adressent la parole mais si vous n’êtes ni comblés par ce « nous », ni envahis par ce « vous », où êtes-vous ?
Nous incarnerait la colline, l’éminence, le sommet et je serait l’accident, l’écueil, l’échec ?
Les gens, les femmes, les hommes, les nous, les nôtres, les vous, les vôtres, le pluriel a pour dénominateur commun l’effacement.
Le pouvoir, plus que la puissance de ce nous, préfigure la réussite à ce jeu sans égal, néanmoins, « je suis libre » n’est pas équivalent à « nous sommes libres ».
Le « je » témoin oculaire, dernier survivant, ultime parolier parvient-il à faire flancher la balance ?
Le « je » est-il une cause perdue ?
J’ai osé le « je », un jour de vœux, pourrait-on s’enorgueillir, j’étais bien équipé, au plus fort de ma vulnérabilité, j’ai eu ce courage de faire face aux brigades des nous -loups ?
Le nous règne en couverture, prétexte, déguisement et tutelle.
Enfin, le relief que l’extérieur accorde à votre vie, à ma vie, se porterait mieux s’il se développait à partir d’une richesse de vocabulaire. S’il était complexe, d’une langue diversifiée, il ne nous infligerait pas l’étau scolaire de la réussite pour jeu set et match.
C’est bien de la pauvreté de ces cases dont il s’agit, de la misère de ces codes, de l’indigence des normes, de la platitude des listes, là, serait un territoire de nous, où tout je pourrait s’émanciper à volonté, faire fi de ces abris, envoyer valser pareille garantie.
Comment notre courage peut-il supporter cela ? Comment nos instants de tristesse peuvent-il encaisser cet appauvrissement, par le nous, de nos je ?
L’union fait-elle la force ?
Sous l’égide, en forme de signature, j’ai validé le nous, mais dès lors qu’il dessine les contours d’une cachette, je lui fais front.
Non commun, mais bel et bien individualisé, je sors de mes ghettos, mes champs sont vascularisés, j’appartiens à la faction des je et fais face à la fiction des nous.
Lors de mon procès, Ils m’accuseraient presque d’être individualiste, je leur répondrai il y a Nous et nous. La grandeur nature du nous dépend de son n, de sa capacité à ne pas dissoudre, à ne pas ourdir une intrigue contre la vie respective des « je ».
Isabelle Pompe L, 8 janvier 2022
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.