-Quel est cet endroit où siègent mes affaires ?
Mes affaires de première nécessité sont, désormais, posées, elles sont là, à Vayres, les autres « dorment » en cartons dans un garde meuble à Limoges. Le transit est toujours en cours. A quand le prochain départ ?
Comment narrer ses conditions de vie de femme à partir de la typologie de son lieu de résidence ?
Et est-ce un bon point de départ ?
Si le voyage et vos 25 adresses de vie contribuent à vous définir comme citoyen du monde, je ne peux que vous comprendre, je suis moi-même vagabonde.
D’où viens-tu ?
J’ai très souvent entendu cette question, ce à quoi je réponds si je suis en forme:
Je viens d’ici et d’ailleurs, de partout et de nulle part, si tant est que nulle part veuille bien exister. Partout n’ayant rien à prouver, ici, restant subjectif et ailleurs fonctionnant comme un mythe.
Pourquoi es-tu venue ici ?
Là, je parle de choix, d’envie de bouger et prend pour exemple, récent, et pour faire court, celui du confinement et demande à mon interlocuteur/ interlocutrice, (j’aurais fait de même pour un ancien évènement climatique collectif comme la canicule de 2003, la tempête de 99)…
-Où avez-vous passé votre confinement ?
Moi: à l’aveugle, sans jardin, avec fenêtre sur cour et chambre sans vue.
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Quelles interférences entre ce lieu-ci et ma vie ? Quelles améliorations et ressources supplémentaires ? Quels freins et entraves ?
Full power au Chiffre
Attention, vous allez voir défiler, une suite de chiffres, en kilomètres, en nombre d’habitants, il s’agit de situer pour avoir un ordre de grandeur, de créer un mètre étalon.
La ville, telle que je l’ai connu enfant, était de taille moyenne (20 000 habitants) mais possédait de nombreuses richesses (identifiée, connue pour sa viticulture dans le monde entier, touristique, patrimoniale) mais peu propice à d’extraordinaires aventures.
La vie comme un long fleuve tranquille d’où survivre revenait à bien savoir nager, ce qui n’était pas le cas de grand monde.
De plus, l’endroit, notre adresse, fonctionnait comme une forme d’externalisation, une petite couronne prothèse, séparée par une grande route très dangereuse, qui, d’ailleurs, fut meurtrière d’une petite fille de mon âge, traumatisme personnel dont je garde un souvenir distinct.
Mis au ban ? Déjà les prémisses d’une vie de quartier en construction, donc sans quartier, c’est-à-dire, sans commerce, sans médecin, sans marché.
Ensuite, surgit l’expérimentation d’une ville grand bain, devenue capitale, immense, ouverte à toutes les expériences sportives, culturelles et linguistiques qui m’a profondément changée.
Grâce à elle, je quittai, presque, à 9 ans, la timidité.
Adolescente, 1er séjour en terre rurale, une librairie et un cinéma, certes, géniaux, mais à 25 km. Je découvre du haut de mes 12-15 ans la difficile indépendance, la discrimination locale pour ce qui est de se rendre dans une bibliothèque.
J’ai l’impression qu’on me demande de me tordre.
La loi de mobilité de ce territoire, article 1: une voiture, de l’argent pour mettre de l’essence, du temps de libre parental à même de conduire les ados à des sorties culturelles, sportives, des espaces de socialisation autres que l’école à des heures dites-normales.
Le prochain musée ? Environ 60 km.
Une campagne dure, très dure ruralité que celle de la Haute-Marne où la distance pour se rendre au lycée, en évitant celui à la très mauvaise réputation situé à 25 km, se chiffre ainsi: 70 km dans le département voisin (l’Aube), le lycée avec option théâtre ou audiovisuel (ce que j’aimais), 120 km et un encore un autre département (la Marne).
Nous sommes en 1992.
Vint, le lycée, l’internat, une ville de 70 000 habitants (Troyes), plus ou moins agréable, faites de cauchemars plus que de jolis souvenirs. Pas d’option théâtre ni audiovisuel, des années de lycée abimées par de grandes drames et frustrations.
Beaucoup de changements enfin, en 5 ans, une ville de 100 000 habitants en plein est de la France, Nancy, une autre toute petite à titre de comparaison en Auvergne (2900 habitants), puis, un retour vers le « nord », les Yvelines avec trois communes qui tournent autour de Saint-Germain-en-Laye et Conflans-Sainte-Honorine.
Nous sommes en 1996. Paris entre en scène pour le travail de 1997 à 2013. Mon transfert d’appartement vers Paris commence par quelques colocations ponctuelles, dès 2000.
Pour finir et se rapprocher de nous, 2013-14: vie de village is back.
2014 départ pour Rouen. Faut-il y voir l’image d’une Roue ?
La raison majeure de ce départ ? La campagne euroise, non merci, c’était trop me demander.
Alors voilà, après la vie en banlieue, à nouveau, de 2015 à 2021.
Puis, je regagne un lopin de petite commune rurale en 2021. Depuis combien de mois déjà ?
Déjà 10 mois ou presque.
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Vous voyez la circularité ?
Beaucoup de choses à dire sur ces espaces dits-éloignés qui sont souvent pris pour cible, qui ont été invisibilisés, oubliés qui sont, aujourd’hui, désignés comme de nouvel eldorado.
La raison évoquée: la démétropolisation, l’exode urbain. Mal aimés pour certains, écrasés pour d’autres, énergivores, bref, faut avoir l’espoir chevillé au corps pour les « risquer ».
Tous les territoires ne se ressemblent pas, tous les villages n’ont pas la même allure, ne vivent pas de la même manière leur ruralité, ne se pensent pas carte postale, tourisme, tous ne possèdent pas les mêmes richesses, quoi que, qu’est-ce qu’une richesse ?
On lève le pieds question excuse du type diagonale du vide, on pousse le bouchon niveau courage et cohérence sociétale. On travaille proprement, on valorise, on respecte.
Je veux le tenter, me dis-je, faute d’avoir le choix
Et puis, quitte à vivre ici, un défi pour moi, pourquoi pas relever celui-là ?
A partir de là, quelles énergies vont être mobilisées pour parvenir à bien vivre dans un village ? Dans ce village ? Quel accueil ? Quelles capacités de mouvement ? Quel lien social ? Quelles négociations avec soi-même ? Avec les autres… Etc…
Que dit cet endroit de moi ?
Mon système racinaire est tissé de voyages, de migrations, je ne connais, comme ma famille, que le mouvement. Un commencement à la naissance, des suites, des épisodes. Une vie sérielle n’endommage pas.
On espère dès qu’on déménage, le mythe de l’ailleurs, on y croit, on peut vivre de désillusion, rester lucide, attendre pour voir, agir, prendre le taureau par les cornes, une adresse comporte des éléments de lecture personnelle. Quel sera notre comportement ici, là, etc…L’extension de nous-même ? Pas sûr.
Celui-ci serait créateur de conditions favorables, émancipateur, subi, rêvé, source de contraintes, enfermant, bref, comportera de multiples lectures subjectives et objectives.
Soyons conscients des effets du territoire, pas toujours choisis, sur nos vies quotidiennes, un peu comme des interactions médicamenteuses. Et puis en termes de mobilité, d’accès, à l’emploi, aux soins, à la culture, sans oublier, les résistances au changement, sans avoir à sombrer dans l’éloge clanique du vrai et faux, du toujours et….
D’autres formes de discriminations, de négligences peuvent avoir des effets contre-productifs pour une commune, notamment, dans la manière dont s’exercent les pouvoirs.
Le pouvoir fonctionne comme un piège, dans le défaut de considération des énergies d’habitants, témoins, force vives, retours terrain, mais aussi réfractaires, non habitués à être sollicités, blessés.
La commune parait tiraillée, incapable de choisir, en proie à des états d’esprit racistes: rejeter l’arrivant, le nouveau, par exemple. Ici, la crispation prend plusieurs visages, d’abord politique. Les dernières élections ont été mal vécues. Le silence gronde, les reproches également, les méthodes, l’équipe de conseillers, les services techniques, il faudra du temps, pour y voir clair et saisir le degrés de trahison ressenti par certains, le découragement.
La grande difficulté de communication qui s’est imposée, au fil du temps, connait, actuellement, des heures peu glorieuses à Vayres.
De la ville ? Vous êtes de la ville ? Avec pareille question que souhaitez-vous savoir ? Quel est votre postulat ? Laissez tomber le jugement de valeur.
Je n’ai pas l’intention de mal agir, merci d’oublier les complexes et la condescendance, il en va de même pour la brutalité et l’agressivité. Je suis là tranquille.
Tranquille ne veut pas dire silencieuse ou éteinte. L’intolérance fait front commun, comme la méchanceté le plus souvent. Ville ou campagne, lequel de ces endroits du monde brille pour son intolérance ? Je pense que la réponse n’existe pas.
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La question qui se pose est surtout sociale
L’anonymat de la ville peut aussi être mal vécu, l’indifférence, l’individualisme voire l’opportunisme sont souvent associés, en termes d’image, à la ville. La ville a ses communautés et ses frontières. Se frotter à elle n’est pas une mince affaire, elle exige une grande capacité d’adaptation.
Socialement, elle fait mal, fait tomber, sombrer, couvre de honte, de chagrin, elle est terrible mais se fait lieu de rencontre inestimable pour tous les voyageurs.
Au regard des mentalités auxquelles j’ai été confrontée, ici, la campagne voit dans la ville, non pas sa mère, sa tante ou sa grande sœur mais son ennemi. Une masse informe qui absorbe la jeunesse des villages. Le rite du passage à la ville équivaut à recevoir un carton rouge.
Et puis la ville a tout, les services, les médecins, les hôpitaux. Est-ce cela « tout » ?
Les urbains, pour la plupart, sont des ex ruraux, des ex provinciaux venus travailler là pour se construire un cv en or. Plus de sorties, plus de rencontres, plus de diversité, quoi dire ? C’est légitime d’avoir eu envie de partir si cela ne convenait pas, plus.
La ville est un voyage dont on revient changé.e. Ne peut-on pas dire de même pour la campagne ?
Se définir de multiples façons, par exemple, depuis l’endroit où l’on réside, son adresse, une ville, vous voilà citadin.e, urbain.e, une banlieue, vous devenez péri-urbain.e, vous résidez à Paris, vous habitez la capitale, sa banlieue, tout dépend laquelle, vous êtes, néanmoins, banlieusard.e.
Par opposition territoriale, vous quittez cette centralité, pour rejoindre tout le reste possible, vous vivez en province, en région comme on aime à dire, non sans incohérence.
Parler de décentralisation devient complexe si, en dehors de l’Île de France, tout le reste, sans distinction, est étiqueté région.
Quittons la sphère et installons-nous dehors.
Vous avez choisi d’élire votre nouveau lieu de résidence, à la campagne, vous devenez, néo-rurale ou faites un retour aux sources, aux origines. Peu de choix là non plus, esprit binaire quand tu t’agites.
Saisissez-vous la géométrie de toute cette histoire ?
Des points, des lignes, petites et plus longues, des cercles, enfin, un cercle, le pôle, et puis des micro-cercles à l’instar des villes de plus de, tout dépend de notre échelle comparative, disons 100 000 habitants, et 10 000 sur les territoires à faible densité de population, et les intercommunalités…
Où vous situez -vous sur cette échelle ?
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Là où je dors est-ce là où je vis ?
Je prends ma situation, j’ai posé mes affaires à Vayres, en Haute-Vienne, village de moins de 1000 habitants qui fait partie d’une intercommunalité où les disparités sont grandes, peut-être avons-nous deux voire trois locomotives que sont, pour des raisons différentes mais tout de même, Rochechouart, Saint-Junien et Oradour-Sur-Glane.
Vayres se trouve sur une ligne stratégique, entre Rochechouart et Saint-Mathieu, non loin d’Oradour-Sur-Vayres et de quelques pépites villages comme Saint-Bazile (129 hab.), Les Salles -Lavauguyon (139 hab.), de moins de 150 habitants!
L’excuse du petit village, en ce qui concerne Vayres, n’est pas recevable, bien plus petit par le nombre d’habitants, d’autres villages tirent, allègrement, leur épingle du jeu. Et non, les dés ne sont pas pipés.
Les rivières offre aux rivière-Villages des axes fondamentaux, elles viennent signer leur passage, La Vayres, La Tardoire, La Graine.
Je ne suis pas d’un naturel endormi, j’aime réactiver, remuer, poser des questions, je vois un village silencieux qui possédait, par ailleurs un passé commerçant, vivant de plus de 3000 habitants, central, avec des atouts dus, aussi, à son emplacement en pleine nature, tout près de forêts, de plans d’eau, de lacs…Je pense que vous le voyez également.
L’envie de créer l’association Vayres à Soi se fait sentir dès décembre 2021. Je fais des images de ce lieu neuf, d’où je suis reçue comme une immigrée par ce sol humide de forêt que je ne connais pas. Peu m’importe les gens, à cet instant, c’est la nature qui s’adresse à moi et me parle.
Les idées se meuvent, des propositions émanant d’autres régions m’interpellent, ce village d’où je reçois ces informations me demande de communiquer sur lui. Sur son histoire, je vais chercher, lire, consulter des archives, son patrimoine, de même, j’ai, également, à cœur de rencontrer les habitants, je réfléchis à ce qu’il faudrait ouvrir comme fenêtres, comme portes pour les accueillir, pour discuter.
Les organisations de petites évènements sont pensés, le 1er, la Fête de la Nature, les suites se font, humblement mais sérieusement, nous courons mai, juillet, aout, septembre, nous voilà bientôt en octobre avec Octobre Rose, le 15! Le temps passe vite, et c’est très formateur, je cherche qui fait quoi, qui travaille sur quoi, j’ai faim.
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Je ne suis pas seule dans cette affaire, richement accompagnée par une soucieuse du respect du vivant, passionnée par les plantes, botaniste autodidacte à temps plein…Nous réagissons, sans incompréhension parfois de la part de nos voisin.e.s, au stress des plantes, des roses dans les massifs, nous taillons, aidons, du Care, oui, en effet.
Nous avons essayé, dans le respect et la solidarité, de contacter d’autres formes (associations, commerçants) à l’échelle de Vayres, pas tous, mais quand même. Une attitude commune est à recevoir: pas de réponse, d’intérêt ou de curiosité ou alors dans une très faible mesure.
Nous avons essuyé des réactions agressives et intolérantes alors que nous essayons de mettre en place une livraison, à Vayres, de paniers de légumes bio en provenance d’un maraicher-chantier d’insertion situé à 10km.
Fort heureusement, nous sommes soutenues et nous recevons de quelques habitants, acteurs locaux, des retours positifs, encouragement sur nos actions, l’étonnement et les remerciements ont aussi coloré nos journées.
Les mois ne se ressemblent pas, même si cela demande beaucoup de négociations, je préfère rester fidèle à qui je suis, pour ne pas céder à la colère des un.e.s.
Le gaspillage d’énergie, qui, pourtant préfigure un échec, est roi. Nous le déplorons pour toutes les invitations, appels à participation que nous avons lancé. Nous allons donc chercher les énergies plus loin, dans le même temps, des habitants de Vayres se rapprochent. Ils sont là depuis 2 ans ou reviennent au village de leur enfance.
Les sujets que nous souhaitons aborder concernent la vie et l’histoire du village, depuis son accès immédiat à la nature, ses représentations du patrimoine petit, naturel, rural, funéraire, la place des femmes avec le matrimoine comme ce fut le cas pour la Fête du lavoir le 17 septembre dernier.
Nous organisons des balades nature gratuites, allons lancer le programme d’une série de sorties nature culturelles « Histoires de Paysages ». Le 5 novembre prochain, c’est le 1er épisode, consacré au peintre Corot à Saint-Junien.
Les questions de l’accès aux soins en milieu rural seront soulevées dans le cadre de Vayres & Rose pour l’opération Octobre Rose, nous proposons de petits moments de convivialité partagés, une marche solidaire, peut-être un micromarché d’artisans.
La mobilité décarbonée et la sécurité feront l’objet d’actions de sensibilisation avec la prévention routière l’année prochaine. Les écogestes, la lutte contre le gaspillage et le recyclage sont une seule et même affaire en cours qui prendra la forme de petits ateliers en extérieur.
Tout ou presque est repris ici: Vayres à Soi
La femme au masque de sœur, le 20 septembre 2022.
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